Il y a 60 ans, le Traité de Rome fondait la Communauté Economique Européenne. Le 23 mars dernier dans le cadre de l’anniversaire du traité, la capitale italienne accueillait notamment le Digital Day. Ministres européens et industriels se sont réunis autour d’une table pour mettre en place de nouveaux programmes, dont un notamment sur la mobilité autonome et connectée.
La volonté d’être leader
Le Digital Day annonce ainsi le début d’une collaboration entre les états membres et industries tant automobiles que des télécommunications. Et cela à travers des expériences qui permettront de tester à grande échelle les problématiques de sécurité, de qualité et protection de la donnée, mais aussi de vérifier le bon passage d’un réseau à un autre en traversant la frontière. Il est en effet inenvisageable qu’un véhicule totalement autonome une fois la frontière passée soit inutilisable, d’autant plus dans l’Union Européenne dont l’un des piliers est la liberté de mouvement. Ces tests sont aussi bien destinés aux véhicules particuliers qu’aux poids lourds.
Il s’agira désormais pour les Etats membres d’identifier des zones, des itinéraires ou encore des couloirs d’expérimentations qui soient transfrontaliers afin d’y conduire des tests. La Commission aura quant à elle pour but d’identifier et de répertorier les initiatives déjà existantes et à venir.
Günther Oettinger, Commissaire européen aux Ressources Humaines et au Budget, est intervenu pour rappeler les grandes ambitions du projet juste avant la signature de la Lettre d’Intention.
La première ambition est d’harmoniser et d’optimiser les pratiques dans le domaine des véhicules autonomes sur le marché européen qui compte tout de même 500 millions de consommateurs. Un challenge et une véritable opportunité de développement pour les industries automobiles et des télécommunications vu le poids démographique que cela représente. La seconde ambition est que l’Union Européenne devienne un leader du véhicule autonome. Il souligne ainsi que des entreprises comme Peugeot, Renault, Mercedes, ont tout intérêt à soutenir ce partenariat public-privé. En effet alors qu’aujourd’hui Google, Apple, Tesla ou encore Uber sont investis sur le marché de l’automobile autonome, les entreprises historiques sont dans l’éventualité de passer du rôle d’acteurs principaux à celui de simples fournisseurs.
Günther Oettinger envisage ainsi qu’une telle coopération, permettant d’aller de Lisbonne à Vilnius ou encore d’Amsterdam à Athènes sans heurt, sera un démonstrateur de la puissance et de la légitimité européenne sur le sujet, surpassant Shangaï ou la Silicon Valley. Ce qui sera indubitablement une source de bénéfices tant pour les constructeurs automobiles et les opérateurs de télécommunication que pour les consommateurs, pourra à maturité être exporté. Qui sait, demain nous pourrons peut-être faire Paris – Beijing sans même toucher le volant !
Le prolongement de précédentes initiatives
Ce projet s’inscrit dans la continuité d’initiatives déjà présentes. Ainsi en septembre 2016 était créée l’EATA (European Automotive-Telecom Alliance), regroupant six associations sectorielles dont l’ACEA (Association des Constructeurs Européens d’Automobiles) et l’ETNO (European Telecommunications Network Operators’ Association) mais aussi des entreprises comme PSA Group et Deutsche Telekom.
Les buts de l’EATA sont similaires à ceux du projet de la Commission Européenne. Une différence sensible étant l’absence de représentants des pouvoirs publics, qu’ils soient nationaux ou européens. De plus les projets ne seront pour l’instant déployés que dans 5 pays, contre 29 pour le projet européen. L’Union Européenne souhaite donc s’appuyer sur les projets de l’alliance qui se déroulerons en deux phases :
\ En 2017, une phase pilote consacrée à des projets à petite échelle ou des tests de nouvelles technologies :
> la conduite automatisée sur autoroute, ce que le grand public a le plus tendance à associer au véhicule autonome. Il faudra en effet que le véhicule conduise sur une portion d’autoroute sans intervention du passager.
> le platooning, permettant à des camions de se suivre les uns les autres en communiquant constamment entre eux. Ceci optimise la consommation de carburant de par une diminution des freinages inutiles mais aussi en réduisant la traînée des camions.
> le broadcast LTE, qui permet d’envoyer à plusieurs appareils un même contenu en simultané.
\ En 2018, les tests seront de plus grande envergure et sur des usages particuliers :
> des services de voituriers autonomes, qui garent la voiture sans l’utilisateur à bord et reviennent le chercher à un point précis.
> un déploiement à grande échelle de la conduite autonome, notamment sur d’autres types de voies que des autoroutes.
Un autre projet sur lequel compte s’appuyer l’initiative européenne est le projet franco-allemand reliant Metz à Merzig. Premier projet transfrontalier sur les voitures autonomes au monde, le trajet entre les deux villes abordera tout type de route, que ce soit dans un milieu urbain ou rural. Des tests seront effectués pour vérifier l’interopérabilité de systèmes de communications entre voitures (V2V), la technologie 5G et des équipements de signalisation divers.
Alain Vidaliès, Secrétaire d’Etat chargé des Transports, et son homologue allemand Alexander Dobrindt se font l’écho des inquiétudes et espoirs de Günther Oettinger. Tandis que l’Allemand notait qu’il « ne [savait] pas si nos constructeurs européens resteront parmi les meilleurs dans dix ans », le Français ajoutait que le but était « de conserver un temps d’avance dans la compétition mondiale ».
Un apport dans des projets de grande ampleur
Le projet de la Commission sera aussi un terrain d’expérimentation pour d’autres initiatives européennes plus larges.
Ainsi les voitures autonomes seront un test en conditions réelles pour la 5G européenne. En effet, des véhicules totalement autonomes nécessitent de transférer un grand nombre de données avec une très faible latence, nous en parlions déjà en 2013. Auriez-vous confiance en votre véhicule si son temps de réaction face au trafic et aux collisions était supérieur au votre ? La 5G est donc une composante essentielle du véhicule électrique, pour sa sécurité et son intégration dans un environnement Smart. La 5G en Europe pourra rapporter aux opérateurs mobiles un revenu de 225 milliards d’euros par an en 2025.
Les tests transfrontaliers sont aussi un développement du projet TEN-T. Le réseau transeuropéen de transport a pour objectif, le long de 9 axes identifiés qui parcourent tout le continent, de renforcer la fluidité du trafic, et ce de manière multimodale.
Il a donc pour but l’harmonisation de standards, notamment ferroviaire, mais aussi de rester à la pointe de la technologie. Ces axes étant le plus importants du continent européen c’est donc sur eux en priorité que se dérouleront les projets. Une amélioration attendue est notamment une meilleure circulation du fret routier.
Le projet C-ITS, lancé en novembre 2016, à quant à lui l’objectif d’une mobilité autonome, connectée et coopérative. Par cela on entend l’interaction entre les véhicules mais aussi entre le véhicule et la route. Ce type d’information pourra permettre aux usagers mais aussi aux autorités et aux pouvoirs publics de prendre les bonnes décisions et de coordonner leurs actions. C-ITS permettra notamment la convergence des cadres légaux et des investissements, afin que ce genre de services soit mature et déployé d’ici 2019.
Le développement du véhicule autonome dans le monde
L’Union Européenne est la première à tenter des expériences transfrontalières. Néanmoins le véhicule autonome fait l’objet de tests partout dans le monde et bénéficie de nombreuses autres avancées.
L’expérience sur la 5G de BMW en Corée du Sud en est un bon exemple. Sur un circuit, un véhicule a été capable de rouler à plus de 100 km/h tout en étant capable de streamer une vidéo 4K et 360° sans aucun problème. Ce genre de test est très encourageant pour le V2V, mais aussi plus généralement pour le V2X (Vehicule to Everything). En effet, un véhicule capable de communiquer et de recevoir de très nombreuses informations à grande vitesse pourra prédire, calculer et prévenir les dangers. C’est ce type de technologie qui selon Renault équipera les prochaines F1 pour communiquer avec les autres véhicules et éviter les accidents.
Une autre expérimentation intéressante concerne le déploiement de 100 Volvo autonomes sur les routes des villes chinoises. La Chine est connue pour son trafic gigantesque et des accidents liés à des approximations du code de la route, entraînant près de 200 000 morts par an. L’objectif est alors d’améliorer l’intelligence des véhicules. Pour apprendre il faut en effet expérimenter et subir des environnements variés. La conduite chinoise a été jugée par Volvo comme étant la plus à même de donner le plus d’entrées qui permettront au véhicule autonome de demain d’être à son aise dans presque n’importe quelle situation. De plus les conditions climatiques très variées permettront de tester de nombreux critères généralement évités par Google ou Apple en Californie.
Si Volvo réussit à faire fonctionner ses véhicules sur les routes chinoises, alors la compagnie sait que son modèle sera assez bon pour remplir son objectif : que personne ne soit gravement blessé ou tué dans une voiture Volvo d’ici 2020.
Le véhicule autonome a encore du chemin à parcourir, mais l’engouement européen et mondial pour cette technologie permet d’envisager un futur pas si lointain où nous pourrons traverser des continents entiers sans jamais mettre la main sur le volant. Reste désormais à savoir où naîtra ce projet et si les ambitions de la Commission Européenne porteront leurs fruits.