Le réseau ferroviaire français est composé d’environ 44% de « petites lignes ». Cette appellation désigne les lignes courtes avec de nombreux arrêts, situées dans des zones rurales. Ces lignes subissent un déclin de fréquentation important ce qui a provoqué une baisse des investissements d’entretien et de maintenance. La rentabilité de ces lignes est très faible car elles ne dégagent que peu de recette avec des matériels roulants surdimensionnés pour leur utilisation et des coûts de maintenance élevés.
Afin d’éviter l’abandon et d’assurer la desserte locale de ces zones rurales, l’Etat a transféré aux régions l’organisation des mobilités locales pour qu’elles puissent investir dans le réseau régional et gérer l’offre transport. Les différents acteurs ont voulu se tourner vers des alternatives aux modèles de train existants, moins polluantes et plus rentables.
La SNCF a quant à elle initié deux nouveaux programmes appelés Tech4Rail et Tech4Mobility, visant à développer les trains du « futur », autonomes, connectés, sans émissions et concevoir de nouvelles solutions de mobilité collectives partagées. Parmi les projets menés par ces entités, la SNCF travaille à la conception de trains légers.
Qu’est-ce qu’un train (très) léger ?
La SNCF développe des « trains légers » et des « trains très légers » dans le but de remplacer les TER actuels sur les petites lignes et de répondre à la problématique du dernier kilomètre. Ces trains avec une motorisation électrique sont – comme l’indiquent leurs noms – beaucoup moins lourds que les matériels roulants actuels. Ces trains sont plus adaptés aux besoins des zones peu desservies avec notamment un système de stockage de l’énergie à bord et des solutions digitalisées (odométrie en temps réel, conduite autonome, connectivité 4G/5G) qui visent à rétablir un modèle économique soutenable pour les régions.
Les trains légers sont des solutions modulaires et adaptables avec une approche ouverte et interconnectée au réseau actuel. Les trains très légers sont eux moins capacitaires et viennent compléter l’offre des TER actuels et des futurs trains légers en s’implémentant sur des lignes de dessertes fines du territoire. La conception de ses trains s’inspire des solutions automobiles dans le but de fournir un service plus adapté aux trajets courts et ruraux.
Train Léger Innovant
La SNCF avec dix autres partenaires dont notamment Thales, Railenium, Texelis, Capgemini, CAF, Alstom, a initié le projet Train Léger Innovant (TLI). Ce projet a pour objectif de réduire de 30% les coûts totaux d’une desserte au travers d’innovations apportées aux différentes briques du système ferroviaire : le matériel roulant, l’infrastructure, le contrôle commande et l’exploitation. Les porteurs du projet misent sur l’augmentation de l’accessibilité financière (tarifs moins importants) et physique (possibilité de transport de colis, d’avoir plus de vélos, poussettes, ou des personnes avec un handicap moteur). Les constructeurs travaillent sur une propulsion électrique et hydrogène puissante en évitant les émissions polluantes.
En plus de décarboner le transport ferroviaire, le défi est de le rendre plus adaptable en s’insérant directement sur les lignes existantes. Le TLI est prévu pour accueillir une centaine de voyageurs sur deux voitures, mais sa capacité pourra être augmentée en fonction de l’affluence sur les lignes. Il pourra également être aménagé pour le transport de marchandises ou colis grâce à des conteneurs de livraison installés dans la rame.
Au niveau de ses caractéristiques techniques, peu d’informations ont été dévoilées. Ce train serait deux fois plus léger qu’un TER actuel permettant de réduire les efforts sur les rails ainsi que sa consommation en énergie. Sa masse permettrait également de le faire circuler sur des lignes secondaires et de diminuer les coûts de maintenance tout en atteignant une vitesse de 100 km/h.
Le consortium travaille sur la digitalisation de la cabine de pilotage avec notamment une signalisation numérique permettant d’éviter les équipements au sol, des systèmes de surveillance ou d’automatisation de la conduite.
La SNCF prévoit la création de démonstrateurs entre 2024 et 2026 pour une mise en circulation du TLI courant 2029.
Les projets DRAISY ET FLEXY
Dans le cadre du programme Tech4Mobility, le groupe SNCF a mis en place des projets de trains très légers nommés DRAISY et FLEXY qui ont pour but d’adapter les solutions technologiques de l’automobile et les appliquer au système ferroviaire.
DRAISY
DRAISY est un petit train modulaire pouvant accueillir 80 personnes, destiné aux lignes ou aux segments de lignes de 20 à 100 km maximum. La SNCF a réalisé un benchmark de trains semblables (Pacer Train au Royaume Uni ou Dual Mode Vehicle au Japon) afin d’étudier les solutions existantes dans d’autres pays et d’éviter les possibles écueils. Ce programme propose un nouveau système de déplacement avec un niveau de service plus performant comme des arrêts « à la carte » et des innovations technologiques, pour un coût estimé 60% moins cher au km par voyageur que l’exploitation d’un TER actuel.
En utilisant de nouvelles technologies, ces trains seront plus légers et électriques avec des batteries permettant de s’affranchir des systèmes d’électrification. L’objectif de la SNCF est également d’automatiser ces matériels pour assurer la performance et la sécurité du transport de voyageurs. En combinant l’automobile (choix de l’aménagement intérieur, système de recharge électrique, etc.) et le ferroviaire (rail, assemblage de modules, etc.) DRAISY se veut de prendre le meilleur de ces deux domaines qui restent aujourd’hui en opposition. Cependant, un des plus grands enjeux est d’assurer au public la sécurité du transport. Cet enjeu vient de la défiance qu’ont les utilisateurs concernant la solidité des voitures existantes en comparaison avec la solidité du train. Ces trains pourront être implémentés sur des lignes déjà existantes, mais nécessiteront néanmoins un certain nombre d’investissements comme la mise en place de recharges électriques en gare pour garantir l’autonomie en exploitation.
Son aspect adaptable permettra d’assurer un service plus personnalisé et d’anticiper les futures évolutions du trafic. Par exemple, DRAISY pourra garantir une plus grande capacité en heure de pointe avec le couplage des modules (couplage physique dans un premier temps puis couplage virtuel, par association sans contact physique). Mais également pendant les heures creuses grâce à la mise en place d’un service à la demande.
La SNCF prévoit une conduite semi-autonome avec un conducteur pour le lancement de DRAISY qui vise à être progressivement remplacée par un système de navigation autonome. Cette adaptabilité permettra également de suivre une possible évolution du trafic dans les zones desservies.
Pour ce qui est des caractéristiques techniques, la phase de conception de Tech4Mobility propose un aménagement intérieur low-cost, facile à mettre en place et très adaptable, ultra léger avec un impact environnemental réduit en utilisant des matériaux recyclables. Cela permettrait par ailleurs d’utiliser ces modules pour du transport de colis ou de marchandises pendant les périodes de faible activité.
DRAISY cible 80 lignes déjà identifiées avec une fréquentation totale de 100 000 voyageurs / jours et une ligne pilote pourrait être créée horizon 2025. Ce consortium permet d’apporter les domaines d’expertise respectif propres aux entreprises :
- Lohr pour la conception / construction
- IBS pour les batteries du module
- Stations-e pour les points de recharge
- Railenium pour la conception des cabines digitalisées
FLEXY
FLEXY est une navette très légère qui reprend les caractéristiques et les dimensions d’une voiture. Elle a une capacité de 9 places et se destine aux petites lignes ferroviaires fermées comprises entre 10 et 30 km. La particularité de cette navette est qu’elle peut rouler sur des routes, mais également sur les rails grâce à un système roue / pneu permettant la transition. Comme le module DRAISY, cette navette a une motorisation électrique avec un système de stockage de l’énergie. Les acteurs du consortium du projet ont puisé dans les solutions techniques de l’automobile (pneus, système de direction, châssis, système de recharge électrique et batteries) pour les adapter au ferroviaire et ainsi créer la première navette hybride.
Un des objectifs du projet est de réouvrir les petites lignes actuellement fermées mais dont le trafic ne justifie pas l’utilisation d’une solution uniquement ferroviaire et d’assurer le transport des personnes jusqu’à leur lieu d’habitation. Ainsi, la SNCF limite les investissements dans les infrastructures et permet également une mises en place rapide de la solution. En effet, FLEXY est énergétiquement autonome et indépendant (conduite semi-autonome, connectivité 4G/5G) ce qui évite l’implantation de gros équipements et d’infrastructures au sol, mise à part les plateformes de transition rail / route.
FLEXY crée une nouvelle forme de mobilité partagée en pouvant récupérer et déposer des voyageurs habitant près des voies ferrées et en se rapprochant d’un service à la demande. Un des gros enjeux de ce projet est l’adaptabilité afin d’assurer un fonctionnement optimal. Ainsi, la navette s’adapte aux périodes d’affluence, est compatible avec un transport de petites marchandises ou colis et peut être combinée à un service ferroviaire normal sur les mêmes lignes.
Deux scénarios ont été imaginés par les équipes de développement, en fonction des périodes de fréquentation :
Les plateformes de transition sont faites de dalles préfabriquées, sans éléments mobiles, et pouvant être installées directement sur la voie. Cette innovation permet de placer des sorties/entrées sur les rails à l’endroit souhaité assez facilement afin de s’adapter aux lieux d’habitations ainsi qu’à la fréquentation. L’organe de roulement composé d’une partie pneu et d’une partie rail a été conçu pour permettre la transition par les plateformes et cette association est protégée par un brevet.
La connectivité de la navette en temps réel a pour but de géolocaliser les modules mais également de transmettre les autorisations de circulation sur les rails et aux intersections pour garantir la sécurité de fonctionnement. La vitesse (limitée à 50-60 km/h sur rail comme sur route) ainsi que son poids très faible ont été imaginés pour réduire les forces sur les voies et ainsi réduire les coûts de maintenances.
La SNCF a identifié entre 50 et 100 zones dont 18 lignes actuellement fermées qui semblent adaptées à l’implantation de FLEXY. La démarche est de fournir une réponse initiale aux problématiques de déplacement puis d’adapter graduellement le trafic et le matériel en fonction de la fréquentation et de l’utilisation. Au sein du consortium, la conception de l’organe roue/rail est confiée à Michelin et la fabrication de la navette par la strat-up Milla.
Perspectives
Les expérimentations des projets DRAISY et FLEXY vont commencer sur des lignes pilotes, respectivement courant 2024 et 2025 afin de tester leur fonctionnement et leur efficacité. Les perspectives pour la SNCF sont de trouver des nouveaux partenariats avec des acteurs du monde de l’automobile et de proposer une première solution à ces enjeux de mobilités.
L’état a notamment décerné les lauréats de projets de trains légers dans le cadre de France 2030 au Train Léger Innovant et à DRAISY et permet donc un financement de ces programmes. La SNCF n’est pas seule à innover dans ces nouvelles formes de transport ferroviaire avec notamment l’Ecotrain mené par STRATIFORME, Flexmove par AKKA Technologies ou encore Taxirail. Nous verrons dans les prochaines années si les trains légers seront un modèle économique fructueux et s’ils représenteront une réelle alternative aux voitures dans les régions rurales.