Entre septembre et décembre 2018, le Groupe PSA et le Groupe Renault ont lancé leur offre de carsharing 100% électrique en free floating* dans la capitale française, respectivement par l’intermédiaire de « Free2Move Paris » et de « Moovin’ Paris ». « Car2Go » (Daimler), dernier entré sur le marché à la mi-janvier 2019, compte lui aussi faire adopter sa solution au public français. Alors que le free floating s’est affirmé dans plusieurs capitales européennes, la conquête du marché parisien vient tout juste de démarrer.
Mais puisque la révolution de la mobilité partagée est déjà bien amorcée à Paris (vélos, trottinettes, voitures de location en libre-service, etc.), il est légitime de s’interroger sur la valeur ajoutée de ces voitures électriques en free floating pour l’utilisateur. Quel(s) avantage(s) par rapport aux autres solutions existantes ?
En outre, du côté des constructeurs, comment interpréter le lancement de ces nouvelles offres, alors qu’Autolib’, pionnière dans le domaine de « l’auto » partagée, n’est jamais parvenue à atteindre la rentabilité ?
Pour répondre à ces questions, et étudier les perspectives de développement de ces dispositifs en région parisienne, nous avons choisi d’aller sur le terrain… Immersion !
Les véhicules électriques en free floating : kézako ?
J’ai testé « Moovin’ Paris » dès les premiers jours de sa lancée en septembre dernier. Très agréable : les voitures sont propres, faciles d’utilisation et confortables. Le processus de location se fait en 3 étapes et se gère entièrement depuis l’application mobile : état des lieux de départ, conduite, puis enfin état des lieux de retour. Compte-tenu de l’état de certaines Autolib’ et des dégradations dont certaines avaient été la cible, il est compréhensible que Renault ait instauré un tel contrôle sur sa flotte « Moovin’ Paris ». L’instauration d’un état des lieux est peut-être aussi un moyen de cibler les utilisateurs désirant effectuer des trajets plus longs (le temps de trajet minimum est d’ailleurs de 10 minutes).
Avec l’offre de PSA « Free2Move », la simplicité et la fluidité d’utilisation sont les mots d’ordre : pas d’état des lieux, pas de durée minimum de location. Il suffit de quelques secondes pour démarrer la location. Déverrouillez la voiture avec votre smartphone, récupérez les clefs dans la boîte à gants, et roulez ! Les voitures proposées sont les petites citadines électriques du groupe : la Peugeot Ion, et la Citroën C-zero. L’offre de « Free2move » se prête parfaitement aux petits trajets urbains, même de quelques minutes. Et c’est sûrement ce que recherche le Groupe PSA, à savoir proposer une solution simple d’utilisation pour le(s) dernier(s) kilomètre(s) des trajets.
Concrètement, les dispositifs de free floating de Renault et PSA permettent à l’utilisateur de jouir d’une grande liberté. Il est possible de garer les véhicules sur n’importe quelle place de la capitale, y compris les places anciennement dédiées aux Autolib’. Pas besoin de ramener le véhicule à l’endroit de location comme cela peut être le cas pour d’autres plateformes de carsharing (Ubeeqo, ZipCar, Drivy, etc.). Pas besoin non plus de se préoccuper du chargement des petites citadines : celles-ci sont récupérées et rechargées par les exploitants dès que le niveau de batterie devient insuffisant.
Du côté de « Car2Go », le dispositif est un peu différent et l’opérateur s’en félicite. Pour fidéliser ses utilisateurs et les inciter à participer au projet collaboratif, « Car2Go » récompense par un coupon de 3 euros les utilisateurs qui branchent leur véhicule sur les bornes anciennement dédiées au dispositif Autolib’. Le groupe espère certainement réduire par ce biais les coûts liés à la récupération des véhicules déchargés. Les Smart ForTwo EQ se prêtent parfaitement aux déplacements urbains. Seule contrepartie, les petites citadines ne proposent que deux places.
Cela étant dit, voyons désormais comment ces nouvelles solutions s’insèrent dans le réseau de transports parisien. Quel(s) avantage(s) ont-elles par rapport aux autres solutions de mobilité ? Eclairage !
Quel(s) avantage(s) comparé aux autres offres de mobilité urbaine ?
Dans la capitale française, les plateformes de véhicules en free floating se heurtent à une concurrence rude. Paris recèle en effet de nombreuses solutions de mobilité alternatives, qu’elles soient en free floating (trottinettes, vélos, scooters), collaboratives (Ubeeqo, ZipCar, etc.), en commun (métro, bus), avec chauffeur, (VTC, taxis), ou encore à borne (Vélib’). Ainsi, l’intérêt des voitures électriques en free floating n’est à première vue pas évident, surtout lorsque la destination à rallier est bien connectée au réseau de transports, ou que la circulation est chargée.
Comparé aux VTC, l’aspect financier dépend vraiment de la situation. En pleine heure de pointe (et donc de bouchons), la voiture en free floating se révèle souvent moins avantageuse financièrement qu’une course en VTC (le prix d’une course étant défini à l’avance, et restant fixe quelle que soit l’évolution de la circulation). Cependant, lorsque le trafic est fluide, prendre une voiture en free floating est en général plus avantageux financièrement qu’une course en VTC.
Face aux trottinettes et aux vélos en free floating, qui proposent des prix abordables et ne nécessitent pas de permis de conduire, les voitures électriques en free floating ont l’avantage certain du confort (pas très agréable en effet de patiner sous des trombes d’eau), mais aussi et surtout, celui de la sécurité. En 2017, 49 personnes ont été blessées en trottinettes ou en rollers à Paris, soit une augmentation de quasiment 20% par rapport à 2016. En revanche, trottinettes, vélos et scooters ont l’avantage certain d’exempter leurs utilisateurs des bouchons parisiens.
Enfin, les voitures en free floating 100% électrique jouissent d’une image écologique positive (bien que le cycle de vie de ces véhicules ne soit pas neutre d’un point de vue environnemental). Pour un nombre croissant d’utilisateurs, l’aspect écologique du moyen de transport influe sur la décision d’utilisation, et l’on peut imaginer que si les services de free floating s’imposent, certains citadins abandonneront leur véhicule personnel et basculeront sur une utilisation régulière de ces dispositifs. D’un point de vue « image écologique », les véhicules électriques en free floating ont de l’avance sur la plupart des compagnies de VTC. Si plusieurs plateformes proposent depuis longtemps des offres de VTC hybrides (« Uber Green » par exemple), seul « Marcel » (Groupe Renault), propose à ce jour une gamme de véhicules 100% électrique. La création de cette offre de VTC 100% électrique, à peu près au même moment que le lancement de l’offre « Moovin’ Paris », témoigne de la volonté de Renault de s’imposer comme un leader sur le marché de la mobilité électrique. A quand l’intégration d’une offre de trottinettes et/ou de scooters électriques pour compléter son offre ?
Quelques cas d’usage où l’utilisation des voitures électriques en free floating se révèle particulièrement utile…
Certaines situations se prêtent tout particulièrement à l’utilisation des plateformes de voitures électriques en free floating. En premier lieu, la possibilité pour l’utilisateur d’optimiser ses trajets « Banlieue-Paris ». En effet, dans de nombreuses situations, les habitants des villes de la petite et de la grande couronne doivent se rendre dans Paris intra-muros pour récupérer une ligne de métro et se rendre à leur destination finale. Dans ces situations, le free floating peut permettre de réduire nettement le temps de trajet, et d’éviter d’effectuer plusieurs correspondances.
Cette réalité interroge la stratégie adoptée par les trois opérateurs entrés sur le marché parisien. S’ils ont probablement choisi de se limiter à Paris intra-muros pour limiter les coûts opérationnels (recharge des véhicules, centralisation autour des points stratégiques, etc.), ils pourraient passer à côté d’une opportunité de marché. Pourquoi ne pas inclure à minima les villes de la petite couronne dans la zone de service ? Le maillage de transports est bien moins important dans ces communes que dans la capitale, et une offre de véhicules en free floating permettrait de réduire substantiellement le temps de trajet pour de nombreux utilisateurs .
Plus contraignant encore à ce jour : les transports Banlieue/Banlieue. Pour certains trajets de quelques kilomètres à vol d’oiseau, les utilisateurs sont contraints d’emprunter un itinéraire à rallonge, faute de connexion directe. Ici encore, les flottes de voitures électriques en free floating pourraient constituer une alternative intéressante. Et même si dans le futur, l’expansion du réseau dans le cadre du Grand Paris Express apportera une solution concrète pour certains de ces trajets, on pourrait tout-à-fait imaginer l’implantation des solutions de free floating dans certaines communes stratégiques. Une prochaine étape pour les opérateurs du marché parisien ?
Enfin, un autre avantage des voitures électriques en free floating, et non des moindres, réside dans la possibilité pour l’utilisateur d’éviter les goulots d’étranglement qui se créent sur le réseau de transports en commun. Prenons l’exemple d’une situation classique sur le réseau du métro parisien : l’accident de voyageur. Ces incidents paralysent le trafic, parfois pendant plusieurs heures. Si la station concernée ne propose pas de correspondances, il se crée alors un véritable goulot d’étranglement. Les usagers s’agglutinent dans la station, les lignes de Bus à proximité sont prises d’assaut, les commandes de VTC explosent (ce qui résulte bien souvent en une forte majoration des tarifs). Par conséquent, les dispositifs de free floating s’avèrent de francs alliés pour contourner le goulot d’étranglement et rejoindre le réseau classique.
Quelle rentabilité pour les plateformes de véhicules en free-floating ?
Avec un tarif de 39 centimes d’euro la minute hors-abonnement**, PSA et Renault ont adopté un positionnement premium, notamment si l’on compare leur offre à ce que proposait Autolib’ (30 centimes d’euro la minute hors-abonnement), qui a fermé boutique en juillet dernier. On peut légitimement s’interroger sur la rentabilité future de ces nouvelles solutions d’autopartage. Parviendront-elles à la rentabilité, malgré un tarif 30% plus cher qu’Autolib’ et des solutions de mobilité douce concurrentes bien plus nombreuses qu’à « l’époque Autolib’ » ?
D’autant plus que le tout nouvel entrant « Car2Go » est bien décidé à bousculer le marché. Côté tarifs, l’opérateur a fait le choix de ne pas s’aligner sur ses concurrents. Le prix à la minute varie entre 24 et 34 centimes en fonction de la zone de location. Plus la zone est demandée, plus le tarif est cher. Mais ce n’est pas tout, « Car2Go » propose également des forfaits pour les courses plus longues probablement afin de séduire un plus large public (forfait 2 heures à 17,90 euros, forfait 24 heures à 79 euros, etc.). L’entreprise a cependant annoncé que l’inscription au service ne serait gratuite que pendant les 3 premiers mois. Passé ce délai, il faudra s’acquitter d’un droit d’entrée de 9 euros (compensé par un coupon de 15 euros sur l’application) pour accéder au service. Point d’ombre au tableau pour « Car2Go » ?
En novembre 2018, deux mois après son lancement, « Moovin’ Paris » comptabilisait plus de 18 000 téléchargements, un début prometteur mais encore loin des plus de 150 000 abonnés que comptait Autolib’ au moment de sa disparition (soit 5% des parisiens en âge de conduire). D’autant plus que les trottinettes, elles, ont le vent en poupe. En novembre 2018, le principal opérateur « Lime » a annoncé avoir dépassé le million de locations à Paris, soit une moyenne de 8000 locations par jour.
Pour se différencier des autres formes de mobilité et se démarquer de leurs concurrents directs, les plateformes de free floating vont devoir parvenir à fidéliser leur clientèle. Comme mentionné précédemment, c’est une brèche dans laquelle s’est engouffrée « Car2Go » en proposant de récompenser les utilisateurs qui participent au bon fonctionnement de son service. On peut bien entendu envisager la mise en place d’autres systèmes d’incitation, comme par exemple des coupons attribués en cas de stationnement dans des zones stratégiques pour les opérateurs de ces dispositifs.
En tout état de cause, les plateformes de voitures électriques en free floating auraient tout intérêt à conclure des partenariats avec des moteurs d’itinéraire tels que « Google Maps » ou « Citymapper », afin de promouvoir leur offre au plus grand nombre. Le service « Uber », lui, est d’ores-et-déjà intégré à ces moteurs d’itinéraires, et est donc proposé aux utilisateurs qui effectuent une recherche. Une prochaine étape pour les plateformes de free floating ?
En définitive, les prochains mois seront une réelle période de test pour les dispositifs de free floating parisiens. Parviendront-ils à capter une base de clients suffisamment importante pour assurer la pérennité de leurs offres ? En tout cas, les gros acteurs du secteur veulent y croire. Le Groupe Renault a indiqué qu’il déploierait un total de 2 000 véhicules d’ici fin 2019. De son côté, le Groupe PSA a démarré en force avec 550 véhicules lancés début décembre. Enfin, Daimler envisage le déploiement de 800 véhicules au total d’ici la fin de l’année 2019. Alors, top ou flop pour le free floating parisien ? On fait le point dans un an !
*free floating : véhicule que l’utilisateur peut louer au départ d’un point A et restituer à un point B, différent du point de location, dans une zone délimitée par l’application.
**Free2Move propose également un abonnement payant à 9,90 euros par mois, avec un tarif à la minute diminué à 32 centimes.