Les voies fluviales françaises, sous-exploitées depuis des années, apparaissent comme une des alternatives à la route pour décarboner le transport de marchandises. Récemment, des investissements significatifs ont été faits pour rénover ces voies et lever les freins au développement du transport intérieur par bateau. Par ailleurs, des initiatives impulsées par divers acteurs visent à améliorer et moderniser le réseau fluvial, la gestion des ports et les flottes ; mais aussi à mettre en place de nouveaux services, et intégrer au mieux les ports intérieurs à leur territoire en valorisant la voie fluviale dans la logistique urbaine et en favorisant l’intermodalité.
La France, un territoire de voies navigables à revaloriser, objet de récents investissements publics significatifs
Ses 8500km de voies navigables font de la France le pays européen avec le plus long réseau de voies navigables. De plus, son positionnement géographique en Europe, avec 3 façades maritimes et la proximité avec le réseau à grand gabarit nord européen, rend le mode fluvial attractif pour le transport de marchandises et les chaînes logistiques.
Pendant de longues années, le réseau fluvial français a été délaissé au profit de la route et du fer, plus économiques, plus rentables, plus rapides et couvrant plus finement l’ensemble du territoire pour délivrer des marchandises. Le manque d’investissements a entraîné un vieillissement des infrastructures.
Récemment, à l’aune des engagements climatiques de la France et de l’Europe qui visent la neutralité carbone en 2050, le transport fluvial apparaît comme une opportunité réaliste pour décarboner le transport de marchandises, en favorisant un report modal de la route vers ce dernier. En effet, non seulement un bateau consomme moins d’énergie qu’un camion, mais un bateau de 4400 tonnes peut transporter la marchandise de 220 camions.
Certaines orientations politiques récentes comme la Loi d’Orientation des Mobilités (2019), vont d’ores et déjà dans le sens du développement du fluvial pour le transport de marchandises. Cependant, les investissements publics pour le fluvial n’ont pas encore permis de vraiment faire évoluer la part du fluvial, toujours bien inférieure en France par rapport au reste de l’Europe. Dernièrement, l’Etat a investi significativement dans le fluvial : le plan de relance, France Relance, mis en place dans le cadre de la crise sanitaire prévoit 175 millions d’euros en faveur de la modernisation et de la régénération des voies fluviales.
A gauche : Part modale du transport intérieur de marchandises en France (Source Eurostat, 2019).
A droite : Part modale du fluvial dans le transport intérieur en Europe (Source Eurostat, 2019).
Voies navigables et ports fluviaux en France en 2019, Source VNF
Vétusté, manque d’infrastructures, taille des canaux, intermodalité, … des freins subsistent quant au développement du fluvial
Il existe encore un certain nombre de freins au développement du fluvial en France : vétusté du réseau, manque d’infrastructures de fabrication et de réparation de bateaux, taille des canaux qui ne laissent pas toujours passer des bateaux grands gabarits, manque de connexion avec le réseau fluvial européen, hétérogénéité de la couverture du territoire ou encore intermodalité pas suffisamment développée au niveau des ports pour permettre une desserte partout sur le territoire. Par conséquent, ces freins peuvent rendre le transport fluvial complexe à mettre en place logistiquement et faire monter le coût du transport de marchandises par voie fluviale qui n’apparaît pas toujours comme la solution la plus économique à court terme.
Lever les barrières et accélérer le développement du transport fluvial
Renforcer le maillage fluvial grand gabarit et l’intermodalité
Les fleuves français doivent être reliés aux grands ports maritimes du Nord de l’Europe. En effet, non seulement, une grande part des marchandises arrivant en Europe provient de ces grands ports, mais les canaux hollandais, belges et allemands sont adaptés aux bateaux grands gabarits. Aujourd’hui, en France, seul l’axe rhénan est relié au réseau européen grand gabarit. Pour pallier ce manque, le projet Canal Seine-Nord Europe vise à relier l’Axe Seine à l’Axe Rhénan par un canal grand gabarit. La livraison des travaux est prévue pour 2028.
Tracé du Canal Seine-Nord Europe
(Source département de la Somme)
Les ports doivent développer l’intermodalité pour permettre l’acheminement facile et rapide sur tout le territoire. La volonté de développer une liaison « Rhin-Rhône Ferroviaire Fret » va par exemple dans ce sens afin de relier par le fer ces 2 axes fluviaux à grand gabarit. Pour contribuer à la décarbonation du transport de marchandises, les mobilités favorisées autour des ports doivent être douces. La création du Quai des énergies à Lyon met par exemple à disposition des bornes électriques et hydrogène vert à proximité du port.
Enfin, les partenariats, associations ou encore fusions entre ports et acteurs du fluvial (Medlink Ports, Haropa) permettent de renforcer les concertations et collaborations sur le développement du maillage fluvial. Par exemple, les ports de l’axe Seine (Le Havre, Rouen et Paris), associés dans le groupement d’intérêt économique HAROPA depuis 2013, vont fusionner administrativement le 1er juin 2021. L’association Medlink Ports, elle, rassemble les ports maritimes et intérieurs de l’axe Méditerranée-Rhône-Saône, mais compte aussi des acteurs de la logistique, du ferroviaire, des opérateurs fluviaux, ou encore des chargeurs parmi ses partenaires.
Moderniser la gestion des ports et les flottes
Pour attirer les transporteurs et les bateliers, les ports doivent être performants, notamment en comparaison avec les ports nord européens. Cela passe par l’optimisation des services portuaires, de la gestion fluviale, et de la maintenance. L’utilisation des technologies numériques peut largement y contribuer : plateformes numériques et intelligence artificielle pour optimiser stockage, circulation des véhicules de manutention ou chargement/déchargement ; utilisation de la blockchain pour le traçage des conteneurs.
Par ailleurs, la modernisation, c’est aussi le développement d’une flotte plus verte ; électrique, hybride ou hydrogène.
Développer l’économie autour des ports fluviaux
Les ports peuvent valoriser leur patrimoine foncier et contribuer au développement économique de leur territoire en développant et accueillant de nouveaux services, ou en développant de nouvelles capacités industrielles. Par exemple, le Port Autonome de Strasbourg (PAS) accueille un service de conseil en multimodalité pour les transporteurs. Les ports peuvent aussi développer des activités de production d’énergie. Par exemple, Compagnie Nationale du Rhône participe à la solarisation de la vallée via sa société Vensolair. A Strasbourg, le projet R-PAS vise à valoriser la chaleur « fatale » produite par les entreprises industrielles et ainsi entrer dans une démarche de chaleur renouvelable.
Intégrer le fleuve à la logistique urbaine
La plupart des centres-villes sont traversés par un fleuve ou une rivière. Le fluvial peut donc jouer un rôle majeur dans la logistique urbaine, que ce soit pour l’apport de marchandises ou la gestion des déchets, et répondre aux problématiques d’émissions carbone, de congestion ou encore de nuisance sonore du transport routier. A Lyon, entre 2016 et 2019, le projet pilote River’Tri offrait aux citadins un service de déchèterie de proximité grâce à une barge installée le long des quais de Saône. A Paris, depuis 2012, Franprix utilise la voie fluviale pour approvisionner certains de ses commerces. Aujourd’hui, de nombreux projets de ce type fleurissent. A l’été 2020, à Strasbourg, un service de distribution par bateau, ULS, a été lancé. Sa réussite devrait permettre une extension prochaine à Bordeaux, Nantes ou encore Paris.
A gauche : La barge River’Tri amarrée sur le quai Fulchiron à Lyon.
A droite : Livraison de produits Franprix par la Seine. Source Le Parisien, 2018.
Par ailleurs, l’intégration de la voie fluviale à la logistique urbaine passe par le développement du tourisme fluvial, de projets avec les villes et à destination des citoyens, notamment par le biais de mécanismes de consultation et d’appel à projets, comme par exemple le projet « Réinventer la Seine ».
Le chemin à parcourir pour un véritable report modal est encore long ; pour autant, les initiatives allant dans le bon sens ne manquent pas.
Les chiffres montrent que la part modale du fluvial dans le transport de marchandises est encore très faible en France, et incomparable avec certains de nos voisins européens. Le transport fluvial fait face à des aléas tels que les crues, qui doivent être pris en considération. Pour autant, les opportunités se multiplient et les investissements sont de bon augure.
En outre, les initiatives lancées sont portées par des acteurs divers qui collaborent : Etat, collectivités, Voies Navigables de France, Compagnie Nationale du Rhône, ports autonomes, certaines entreprises comme Franprix ou Suez avec le projet River’Tri à Lyon, transporteurs (ULS), citoyens, etc. Enfin, bien que les transformations majeures et structurelles comme la création du Canal Seine-Nord Europe n’auront des répercussions positives que dans plusieurs années, d’autres comme les projets River’Tri ou ULS, sont d’ores et déjà porteuses de résultats encourageants.
Sources:
https://www.vnf.fr/vnf/app/uploads/2020/06/LesChiffresDuTransportFluvial_2019.pdf
http://appsso.eurostat.ec.europa.eu/nui/show.do?dataset=tran_hv_frmod&lang=en
Transport fluvial : vers un canal Seine-Nord à grand gabarit pour relier Paris à l’Europe ?