Selon une étude du Groupe RATP, un trajet en transports publics en Ile-de-France prend en moyenne 43 minutes. La marche, les correspondances et l’attente de transport représentent 18 minutes, tandis que les 25 minutes restantes sont passées directement en transport (24 minutes pour ceux qui n’utilisent que le transport ferroviaire).
Pendant des décennies, les façons de passer son temps dans le métro sont restées peu ou prou les mêmes : lire, discuter avec d’autres voyageurs ou dormir étaient presque les seules activités possibles. La situation a commencé à changer récemment lorsque la quête du transport connecté a dérangé la paix du monde souterrain. Et le métro parisien a bien suivi ces tendances. Les tests du Wi-Fi sur les stations ont été lancés en 2012 et 15 stations proposent désormais de surfer sur Internet en attendant un train. Cependant, le saut majeur dans l’univers du métro connecté est en cours avec le développement de la connexion 3G/4G qui fait partie de la stratégie Métro2030 introduite par la RATP. La ligne 1 est principalement couverte par la connexion haut débit et, à la fin de 2018, le nombre de stations couvertes devrait être de 120, alors que la RATP promet une couverture complète d’ici la fin de 2019 (pourtant, il n’est pas certain qu’une connexion soit établie dans les tunnels).
Il ne fait aucun doute que, compte tenu des difficultés pour fournir un accès à l’Internet aux voyageurs souterrains, ce que proposent la RATP et la plupart des opérateurs du métro dans le monde est une très bonne affaire. Mais est-il possible d’aller encore plus loin et d’assurer une connexion Wi-Fi parfaite dans les trains circulant dans les tunnels du métro ? Cela peut-il devenir une entreprise rentable ? Comment monétiser un projet aussi coûteux ? Les réponses peuvent être trouvées en regardant les exemples qui existent déjà. Le pionnier du déploiement du Wi-Fi gratuit dans les tunnels du métro est Moscou. Commencé en 2013, le déploiement s’est achevé en 2014, et toutes les lignes du métro sont désormais connectées. MaximaTelecom, la société qui a développé le projet, ne divulgue pas d’informations sur les investisseurs, mais affirme que tout le capital impliqué est privé. Cette même entreprise a répété le projet à Saint-Pétersbourg en 2017. L’idée est lentement reprise par d’autres acteurs du monde entier – l’opérateur du métro de Toronto promet la couverture du réseau de tunnels d’ici fin 2018. Est-ce que d’autres villes suivront ? Un regard appuyé sur le projet de Moscou pourrait nous apporter des réponses.
Moscou – l’expérience a-t-elle été couronnée de succès ?
Défi technologique
Lauréat des Wi-Fi Industry Awards 2015 (Meilleur déploiement d’un réseau Wi-Fi dans une ville ou une zone publique), le projet de déploiement Wi-Fi dans le métro de Moscou n’était pas facile. Il a fallu équiper 5450 wagons avec des équipements Cisco, poser 880 km de câbles à fibre optique dans les tunnels à la profondeur allant parfois jusqu’à 84 mètres (cf. station Park Pobedy) et développer des solutions haut débit adaptées aux particularités du projet (ce qui a été fait par RADWIN). Il a été décidé de s’éloigner du système des leaky feeders (ou câbles rayonnants) traditionnellement utilisés dans les tunnels (qui permet par exemple d’accéder à la 3G dans les tunnels du métro) et de développer un tout nouveau système afin d’assurer la connexion Wi-Fi rapide en profondeur. Le système fonctionne comme suit :
Des stations de base sont reliées par un câble à fibre optique tous les 450 mètres dans le tunnel. Les antennes ailerons de requin installées sur le premier et le dernier wagon alternent entre ces stations de base pendant les mouvements du train. Elles sont reliées par un câble, qui relie également les unités mobiles (hotspots) installées dans chaque voiture. Ces hotspots, fournissent, à leur tour, une connexion Wi-Fi. Les premier et dernier wagons créent leur propre réseau afin d’éviter de réinitialiser le système chaque fois que les wagons sont détachés ou attachés au train.
Au début, la vitesse de la connexion atteignait 100 Mbit/s, tandis que la capacité du câble à fibre optique était égale à 10 Gbit/s. Cependant, plus tard, la capacité du câble a été augmentée à 20 Gbit/s et la vitesse de connexion à 500 Mbit/s, ce qui a établi un nouveau standard dans l’industrie. Des tests sont en cours pour assurer la vitesse allant jusqu’à 1 Gbit/s.
Afin d’assurer le déploiement rapide du réseau (qui ne devait prendre que 18 mois) sans interrompre le fonctionnement normal du métro, tous les travaux ont été réalisés de nuit. Chaque nuit, les ouvriers posaient 2 à 3 kilomètres de câble. L’installation d’unités mobiles dans les trains fut cependant plus compliquée que prévu car de nombreux types de trains étaient utilisés, y compris les plus anciens. Chaque type de train nécessitait des ajustements du système.
Y a-t-il une demande ?
Au premier abord, il semblerait que la demande soit significative. Le nombre d’utilisateurs uniques est estimé à 2,5 millions (40% des passagers quotidiens). Les passagers du métro ont généré 37 000 Tbit de trafic Wi-Fi en 2017 soit 15 Mbit de trafic pour 1 passager du métro. En 2015, lors du concours « Principaux projets à Moscou », les utilisateurs ont accordé la victoire au projet de déploiement Wi-Fi dans le métro. Il a gagné 37% des voix, loin devant ses concurrents.
Néanmoins, le projet provoque de temps en temps l’indignation de ses utilisateurs. Plusieurs vagues de mécontentement des utilisateurs ont pu être mises en avant :
- Au tout début, le problème principal était la qualité instable et la vitesse très faible de la connexion pendant les heures de pointe. Cela a donné lieu à des tweets de colère et des plaintes (par exemple : « Comment fonctionne le Wi-Fi dans le métro : les vidéos publicitaires fonctionnent, le reste de l’Internet – pas (envoyé via 3G) »). Finalement, le problème a été résolu par l’augmentation du débit du câble, et le nombre de plaintes a diminué en conséquence.
- Les plaintes ont vu leur nombre augmenter à nouveau, cette fois en raison de l’introduction de l’authentification obligatoire où les utilisateurs se connectant au réseau pour la première fois devaient confirmer leur numéro de téléphone. La société a tenté de calmer les utilisateurs en affirmant que la démarche visait à mettre le projet en conformité avec la législation russe changeante qui limitait l’accès anonyme au Wi-Fi public.
- Le point de conflit suivant, bien qu’il n’ait touché que les utilisateurs payants, est apparu en 2017 lorsque la société a augmenté d’un tiers le prix des abonnements « sans publicité ». Il n’y a pas eu d’annonce et la plupart des utilisateurs ont seulement découvert que les prix avaient augmenté quand ils ont essayé de prolonger leur abonnement. Cette fois, les représentants de l’entreprise ont tenté de faire baisser le mécontentement en reliant la hausse des prix à la volonté de limiter la popularité de l’abonnement payant.
- La dernière vague de colère en avril 2018 a été causée par une nouvelle selon laquelle les données personnelles des passagers (environ 13 millions d’utilisateurs) ont été exposées. En raison de la grande vulnérabilité du système, il était possible d’obtenir des informations sur le numéro de téléphone du passager, l’âge approximatif, le sexe, l’état civil, le niveau de revenu ainsi que sur les stations où la personne vit et travaille. Le problème a été rapidement résolu après que les nouvelles sont devenues publiques.
En bref, MaximaTelecom a fait face aux problèmes caractéristiques d’une entreprise technologique. La réaction sans doute rapide à ces problèmes, mais aussi le fait d’avoir un monopole dans le royaume d’Internet gratuit souterrain lui ont permis de fidéliser les utilisateurs. Mais cela rapporte-t-il de l’argent ?
Modèle commercial – payer ou regarder des pubs
Selon Cisco, le fournisseur de l’équipement du projet, l’investissement global dans le projet a atteint 70 millions de dollars. La société ne divulgue pas d’informations sur l’origine de l’argent, mais affirme que seuls des fonds privés ont été utilisés. Les chefs d’entreprise estiment à 6-7 ans le temps nécessaire pour atteindre le seuil de rentabilité. Dans ce cas, MaximaTelecom touchera les premiers profits en 2020-2021. Pour l’instant, les pertes nettes sont estimées à environ 5 millions d’euros en 2016, bien que ces données ne soient pas officielles car la société préfère ne pas publier ses résultats financiers.
Le modèle commercial est simple. L’entreprise gagne de l’argent à partir de deux sources différentes : ventes d’espaces de publicité dans son réseau (branding de la page d’autorisation, vidéos jouées lors de l’autorisation, annonces sur un portail d’information spécialement créé) et ventes d’abonnements « sans publicité » payants.
La vente d’espaces publicitaires semble constituer une vache à lait pour l’entreprise. Environ 500 acheteurs d’espaces publicitaires peuvent choisir entre différentes options de publicité, mais ont également de nombreuses opportunités de ciblage (targeting) : MaximaTelecom recueille les adresses MAC uniques des utilisateurs (L’adresse MAC est l’adresse physique de la carte réseau) et analyse le modèle de comportement pour fournir des publicités plus pertinentes. Les annonceurs peuvent mixer leurs envies en choisissant entre ciblage géographique, démographique, targeting par intérêts, revenus, type d’appareil ou OS, et même adapté aux conditions météorologiques ou à l’heure de la journée. Des sources non officielles affirment qu’en 2016, les recettes publicitaires de la société ont atteint environ 27 millions d’euros.
Quant aux abonnements payants, l’option est populaire avec 150 000 abonnements actifs (environ la moitié d’entre eux sont utilisés régulièrement).
En ce qui concerne la concurrence, la société est en situation de monopole puisqu’elle donne un accès complet au réseau Wi-Fi dans le métro, mais les opérateurs mobiles ne sont pas prêts à se rendre et développent des options 3G/4G pour les passagers du métro. Cependant, la connexion au réseau mobile reste instable et limitée. Nous ne sommes pas encore certains que dans quelques années les passagers auront accès au réseau mobile à haute vitesse dans les tunnels.
Paris – aller au-delà du connecté ?
L’expérience de Moscou peut-elle être utile à Paris ? Dans quelle mesure le projet est-il réalisable dans le métro qui a 35 ans de plus que son collègue de Moscou ?
La demande est contradictoire. D’une part, le nombre de passagers du métro parisien est inférieur d’un tiers à celui de Moscou. La durée moyenne d’un trajet est presque deux fois plus courte. Ces aspects pourraient limiter la demande. En outre, le déploiement du réseau 3G/4G est en cours, ce qui pourrait également diminuer le nombre d’utilisateurs potentiels du Wi-Fi. D’autre part, ces facteurs n’ont pas empêché l’entreprise de lancer le projet dans le métro de Saint-Pétersbourg qui a 3 fois moins de passagers que Moscou et où les trajets sont considérablement plus courts. Le fait que toutes les stations de métro de Saint-Pétersbourg soient équipées de 3G/4G n’a pas non plus découragé MaximaTelecom. Le projet devrait atteindre son seuil de rentabilité 7 à 8 ans après son lancement.
Les coûts du projet nécessitent une étude approfondie. Sur le plan « go », il est clair qu’il n’est pas nécessaire de créer une technologie à partir de zéro, d’autant plus que la longueur du réseau est inférieure d’un tiers et, par conséquent, nécessite moins d’équipement. Par exemple, ces caractéristiques ont permis de réduire considérablement les coûts de l’arrivée de la technologie à Saint-Pétersbourg – de 70 millions de dollars à Moscou à 17 millions de dollars dans le Nord. De plus, les stations ne sont pas aussi profondes, ce qui simplifie potentiellement l’installation de l’équipement. Il ne faut pas oublier la différence de niveau de revenu et de prix du marché – en France, les acheteurs d’espaces publicitaires et les passagers seront prêts à payer davantage pour diffuser leurs pubs pour les premiers et pour se débarrasser des pubs pour les seconds, tandis que le prix de l’équipement restera le même. En ce qui concerne le côté « no go », des coûts supplémentaires sont nécessaires pour assurer une meilleure sécurité. Le fait que le métro parisien soit plus ancien pourrait nécessiter une adaptation du système à ses particularités. En outre, les rumeurs sur l’introduction de la 5G qui fournirait une vitesse beaucoup plus élevée que celle de la connexion Wi-Fi risque de « tuer » le Wi-Fi public. Cependant, ce n’est qu’un plan et il est probable que, si le Wi-Fi est déployé dans le métro de Paris, le projet atteindra le seuil de rentabilité avant que cela ne devienne une réalité.
Le bilan n’est pas clair, en particulier compte tenu du fait que MaximaTelecom ne divulgue pas ses données financières, ce qui rend difficile l’évaluation de la rentabilité potentielle du projet. Mais le déploiement du Wi-Fi gratuit dans le métro parisien semble être une entreprise réalisable qui pourrait rendre le métro de la capitale de l’Hexagone encore plus connecté qu’il ne l’est actuellement. En ce sens, l’expérience de Moscou est utile pour éviter les erreurs commises lors de ce projet pionnier.