Début février, la Cour des Comptes dénonçait dans son rapport annuel l’échec collectif de la lutte contre la fraude dans les transports urbains franciliens. Selon elle, les pouvoir publics et les transporteurs n’ont pas apporté de réponse adéquate permettant de diminuer la fraude. Pire, elle soulignait que cette pratique est en augmentation et pèse fortement sur les comptes de la RATP et de la SNCF. Face à cet état de fait, quelles sont les principaux constats réalisés par la juridiction financière ? Enfin, quelles sont les réponses, répressives ou dissuasives, apportés par les différents protagonistes ?
Le bilan implacable de la Cour des Comptes
Le rapport public annuel de l’institution de la rue Cambon a exposé un échec collectif de la lutte contre la fraude dans les transports urbains en Ile de France. Trois constats sont particulièrement mis en avant.
Le premier concerne les spécificités parisiennes à la fraude. Les flux importants de voyageurs ne permettent pas de procéder à des contrôles systématiques des usagers à chaque trajet, comme sur les réseaux ferrés des grandes lignes. De plus, la vulnérabilité à la fraude est également due à des réseaux non fermés ou alors en partie seulement. Si le réseau du métro est entièrement hermétique, ce n’est pas le cas du réseau Transilien, qui l’est partiellement, ni des réseaux bus et tramway qui sont totalement en surface et ouverts.
Le second constat est l’impact financier, primordial en ces temps de disette budgétaire et de renouvellement du matériel ferroviaire. En effet, l’enjeu économique de la fraude sur les réseaux franciliens est estimé par l’entité publique à 366 millions d’euros pour 2013. Ce chiffre est composé principalement par l’estimation des pertes de recettes, soit 191 millions d’euros pour la RATP (l’équivalent de 14 nouvelles rames pour le RER A) et 57 millions d’euros pour la SNCF (6 nouvelles rames Transilien). À ce montant, il convient d’ajouter le coût des politiques mises en place pour lutter contre la fraude par les deux transporteurs. Les moyens mis en œuvre par les acteurs publics pour traiter et lutter contre la fraude sont difficilement quantifiables et non pris en compte dans ce chiffre global.
Le dernier constat est à propos des moyens inadaptés mis en œuvre par les protagonistes chargés de la lutte contre la fraude. Si les fraudeurs font preuve d’ingéniosité en donnant de fausses identités et s’organisant en mutuelle, les contrôleurs ont quant à eux des pouvoirs limités et les services de police n’ont pas cette thématique pour priorité. De plus, l’absence de collaboration entre les transporteurs d’une part et les acteurs publics d’autre part ne facilite pas cette lutte. Ainsi, le taux de recouvrement est souvent très faible, inférieur à 15 % à la SNCF et à la RATP.
Les réponses répressives des acteurs
Prenant conscience de ces constats mis en lumière mais non nouveaux, les différents acteurs ont décidés de durcir le ton contre les fraudeurs.
La réponse législative est la loi Savary, du 22 mars 2016. Ce texte durcit les sanctions contre les fraudeurs en établissant le délit d’habitude, punit de six mois d’emprisonnement et 7.500 euros d’amende, à partir de cinq infractions en un an contre dix auparavant, et en interdisant les mutuelles. De plus, les usagers signalant des contrôleurs sur les réseaux sociaux ou applications (comme Check my Métro) encourent désormais deux mois de prison et 3.700 euros d’amende. Enfin, la SNCF et la RATP auront dorénavant accès, via un centre d’interrogation, aux fichiers des services fiscaux ou de la Sécurité sociale pour vérifier et fiabiliser les informations données par les voyageurs et ainsi assurer un paiement plus systématique des amendes.
Les transporteurs adaptent quant à eux leurs moyens humains dédiés à la lutte contre la fraude. Ils augmentent notamment les effectifs consacrés à cette thématique. Ainsi, la RATP prévoit de recruter, en 2016, 140 agents de sécurité et de contrôle et la SNCF forme 200 agents volontaires en poste aux guichets afin de renforcer ponctuellement ses contrôleurs. Les modalités d’actions sont également modifiées. D’une part la multiplication des méthodes de contrôle est expérimentée (bouclage d’une gare, gare contrôlée deux fois par jour, présence sur quatre gares contiguës de la même ligne,…) et d’autre part le déploiement de petites équipes en civil est généralisé.
Enfin les moyens matériels sont renforcés. La convention 2016-2019 entre le STIF et la SNCF prévoit une enveloppe de 49 millions d’euros pour l’équipement en portillons et l’installation de 400 nouvelles bornes de validation supplémentaire dans 14 gares franciliennes dont la gare Saint-Lazare. La RATP va déployer quant à elle le PV électronique qui permet de réduire les temps de contrôle comme de traitement.
Des solutions préventives existent
Si la répression est une solution, elle n’est pas la seule ni la plus efficace.
La modernisation de la billettique est un levier. Le développement des technologies pour acheter et composter son billet sur son smartphone ou réaliser un passage direct dans les tourniquets avec sa carte bancaire, comme à Londres, réduisent la fraude en simplifiant les démarches à effectuer. Actuellement, la complexité de zonage associée à l’achat des titres de transports engendre des fraudes par simplicité, notamment si les usagers sont pressés ou n’ont pas de monnaie. Ainsi, un billet de RER origine-destination ne permet pas de prendre un bus en correspondance sans effectuer un nouvel achat.
L’effet radar est une autre réponse possible et vise à dissuader le client de frauder. Il s’agit d’annoncer en amont les contrôles afin de pousser les fraudeurs à valider leur titre de transport. Cette solution a été mise en place par la RATP lors de l’opération « Ensemble contre la fraude » du 21 mars au 15 avril 2016, ou encore par Kéolis sur les réseaux Tramway de Lyon et Bordeaux.
Méthode plus radicale, de nombreux réseaux étrangers disposent d’un agent de contrôle à chaque entrée de métro (Londres, Singapour,…). Garant de la bonne validation des titres de transport, capable de verbaliser immédiatement chaque fraude avec un montant réellement dissuasif, ce personnel a surtout une vocation préventive. Les fraudeurs savent en effet qu’ils seront pris dans la quasi-totalité des cas.
Enfin, côté digital, Keolis a mis en place le buggage des applications mobiles indiquant le lieu des contrôles. Ces applications indiquent alors des contrôleurs partout sur le réseau. Testée en France, cette technique a été mise en place à Melbourne avec une certaine efficacité : le taux de fraude est passé de 21% à 8%.
La répression, renforcée dernièrement par les différents acteurs des transports publics, semble avoir montré ses limites. Le développement des solutions dissuasives se généralise et montre les prémices de signes encourageants. Des résultats positifs qui donnent bon espoir pour l’avenir des comptes des transporteurs urbains franciliens.