2003 : les défis de la pollution au Japon et la naissance de l’Open Innovation
Pour faire face au fléau des maladies cardiovasculaires liées à la pollution atmosphérique, la ville de Tokyo interdit en 2003 la circulation des véhicules diesel dans la capitale ainsi que dans trois villes voisines. L’objectif premier est de limiter les émissions de particules fines en vue de réduire le taux de mortalité cardiovasculaire (surtout chez les enfants). A travers ces mesures drastiques, la capitale japonaise y voit l’opportunité de mettre en avant une nouvelle politique de transports urbains axée sur le développement de nouvelles mobilités (vélo, auto-partage, tramway, etc.).
2003 est également l’année où le professeur d’Innovation américain Henry CHESBROUGH (Titulaire d’un PhD, Haas school of Berkeley) introduit le concept « d’Open Innovation ». Il évoque ainsi un nouveau mode d’innovation basé sur une relation de confiance entre plusieurs entreprises qui souhaitent atteindre de nouveaux marchés plus rapidement. Le concept trouve rapidement des adeptes et de nombreux grands groupes, notamment sur le secteur des mobilités, se lancent dans la création d’écosystèmes innovants avec des start-up(s).
Un concept devenu presque incontournable…
En 2018, selon l’étude DavidavecGoliath (spécialiste en Open Innovation), plus de 84% des « jeunes pousses » (start-up) annonçaient avoir des interactions avec de grandes entreprises (+5 points par rapport à 2017). Sur l’ensemble de ces collaborations, 49% d’entre elles ont donné lieu à une poursuite commerciale. Cette même année, le géant chinois VTC DiDi Chuxing a créé la « Didi Auto Alliance », regroupant plus de 30 acteurs du domaine automobile (dont Renault-Nissan-Mitsubishi, Volkswagen, etc.), en vue de développer des véhicules dédiés aux services de mobilité partagée.
Quel est donc l’intérêt des grandes entreprises à adopter une politique d’Open Innovation ?
Un des premiers assets du recours à l’Open Innovation est d’optimiser le ROI (retour sur investissement) d’un projet innovant en accélérant le Time to market d’une solution technologique. En effet, l’Open Innovation a pour objectifs de mettre fin aux processus internes lourds et chronophages d’innovation en bénéficiant de l’expertise des start-up(s). En s’engageant sur des projets agiles bénéficiant d’une meilleure rentabilité, les grands groupes ont également la possibilité de limiter leurs frais de R&D et de transférer une partie des risques liés à l’innovation sur leurs partenaires.
D’autre part, l’enjeu commun aux grandes entreprises et aux « jeunes pousses » est d’améliorer leur visibilité sur les marchés qu’ils occupent ou non, en promouvant une vision novatrice et agile.
L’Open Innovation peut être définie selon diverses stratégies : la création d’incubateurs par les grands groupes (accélérateurs de start-up), l’organisation de concours dédiés à l’innovation (outil de veille et externalisation des coûts de R&D pour les entreprises) ou encore la mise en place de partenariats (publics ou privés) avec des start-up(s) sur un projet innovant spécifique.
Quels sont les facteurs clés de succès d’une stratégie d’Open Innovation ?
L’Open Innovation n’est pas sans concession pour les grands groupes. En effet, ces derniers doivent accepter de bousculer leur culture d’entreprise (souvent ancrée depuis de longues années) mais aussi leur Business Plan pour travailler avec de jeunes sociétés innovantes. Chaque acteur de l’écosystème doit accepter de partager la propriété intellectuelle de la technologie qui sera potentiellement commercialisée.
D’autre part, il arrive fréquemment que l’Open Innovation induise des problématiques d’Open Data (accès libre à des données numériques), obligeant les acteurs d’un même écosystème à s’entendre sur les modalités d’utilisation des données. Le conflit entre la RATP et la start-up Citymapper (refus de la RATP de partager les données instantanées du trafic francilien) témoigne des difficultés pouvant être rencontrées lors d’un projet d‘Open Innovation.
L’Open Innovation et les acteurs du secteur des mobilités…
Le secteur des mobilités est aujourd’hui en pleine mutation, notamment avec l’arrivée de nouvelles alternatives innovantes (plateformes multimodales connectées « MaaS », etc.) qui modifient considérablement les organisations urbaines. L’innovation joue un rôle important dans cette transformation car les entreprises du secteur sont à la recherche d’expertises technologiques et d’agilité au sein de leurs projets.
La concurrence est forte et de nombreuses entreprises se tournent vers l’Open Innovation pour se différencier en proposant des solutions technologiques valorisant l’expérience voyageur. Les synergies identifiées avec les start-up(s) permettent aux grands groupes d’optimiser leur réactivité sur le marché tout en garantissant une veille technologique.
En 2011, Renault a créé son « Open Innovation Lab » au sein de la Sillicon Valley en vue de développer son expertise sur le véhicule électrique et l’expérience voyageur. Le « Renault Square », créé en 2017, est aujourd’hui son homologue parisien. A l’image d’un espace collaboratif, l’objectif est de travailler sur le futur de la mobilité durable en partenariat avec des écosystèmes innovants (start-up(s), PME/PMI, etc.).
Avec la même cible, le spécialiste de la mobilité Transdev a mis en place le programme « LEMON » (Laboratoire d’Expérimentation des Mobilités de l’Agglomération Grenobloise) pour réfléchir à la mobilité future en privilégiant les transports publics. Ce projet, 100% participatif, s’appuie sur des innovations proposées par des voyageurs avec pour finalité de sélectionner et tester les plus pertinentes.
Wiidii, la start-up pionnière de l’IA humanisée, n’a pas perdu de temps pour lier des partenariats avec des entreprises du secteur des mobilités. Un des plus significatifs est celui réalisé avec Transavia, acteur aérien low-cost, pour proposer un assistant vocal hybride faisant office de « compagnon » pour les voyageurs. Au plus près de l’utilisateur, l’assistant facilite l’organisation des voyages en proposant divers services : réservations d’hôtels, itinéraires de visite, grille tarifaire de billets, etc. Le principal atout de ce « compagnon » est qu’il conseille le voyageur en cohérence avec ses goûts et ses préférences.
Les processus R&D internes des grandes entreprises ont-ils été oubliés ?
Même si l’Open Innovation ne cesse de convaincre les grands acteurs mondiaux, elle ne supprime pas pour autant l’utilité des centres de R&D ancrés chez les industriels. C’est le cas notamment pour Renault qui a conservé son technocentre pour innover en interne sur les nouvelles mobilités et notamment la conduite autonome. Pour cela, l’industriel français s’est associé avec le géant Intel pour bénéficier de son expertise dans les logiciels embarqués.
L’Open Innovation est donc aujourd’hui considérée comme un indispensable pour de nombreux groupes qui souhaitent valoriser une expertise technologique sur leurs marchés. Cependant, même si elle modifie considérablement les pratiques, elle se positionne en complément des services R&D et surtout comme un vecteur d’innovation collaborative.
D’autres acteurs voient l’Open Innovation comme un tremplin entrepreneurial et sont désormais animés par l’objectif de créer leur propre entreprise. C’est par exemple le cas de Cyril GARNIER, ancien Directeur Général de SNCF Développement, qui s’est lancé dans un projet de création de start-up après avoir passé plusieurs années à instaurer une démarche d’Open Innovation :
« Ça m’a permis de voir comment les choses se passent des deux côtés de la barrière, de voir quelles sont les pratiques qui fonctionnent. J’ai également gagné beaucoup de visibilité dans l’écosystème, ce qui m’a aidé par la suite », Cyril GARNIER, Interview Maddyness, Avril 2019.
Sources :
http://www.mc2i.fr/L-Open-Innovation-ou-comment-les-grands-groupes-de-transport-francais-s
http://www.brainswatt.fr/open-innovation-incontournable-pourquoi-comment/
http://www.davidavecgoliath.com/docs/etude-2018-DavidAvecGoliath.pdf
https://www.maddyness.com/2019/04/12/open-innovation-tremplin-entrepreneuriat/
https://www.usinenouvelle.com/article/le-geant-chinois-des-vtc-didi-forme-une-alliance-autour-des-services-de-mobilite-avec-30-acteurs-de-l-industrie-automobile.N684669
https://www.usinenouvelle.com/article/supprimer-le-diesel-a-paris-en-cinq-ans-tokyo-l-a-fait-en-dix.N302361