Nous avions laissé la loi Macron à la veille de sa présentation à l’Assemblée Nationale. Depuis, celle-ci et le Sénat (le 12 mai) ont voté la libéralisation du transport en autocars, et la voilà de retour à l’assemblée pour un ultime vote avant promulgation du décret d’application. Si les voyageurs patienteront probablement jusqu’au mois de septembre, les entreprises qui veulent se lancer dans le projet, elles, sont bel et bien dans les starting blocks.
La libéralisation : c’est bien prévu !
Le travail parlementaire étant passé par là, le volet sur la libéralisation des autocars de la loi Macron a subi quelques modifications depuis son passage en première lecture à l’Assemblée. Deux amendements du Sénat peuvent être soulignés.
D’une part, le seuil de la distance minimale entre l’origine et la destination d’un trajet a été relevé à 200 km au lieu des 100 km initiaux. En d’autres termes, une ligne d’autocar ne pourrait être ouverte que si sa distance excède 200 km. Le gouvernement s’oppose à cet amendement, qu’il pourrait tenter de torpiller dans les dernières étapes de l’examen de la loi. En effet, ce sont les trajets de moins de 200 km qui ont le plus de potentiel, en raison d’une complémentarité forte avec les autres modes de transport.
D’autre part, les Autorités Organisatrices du Transport (communes, départements, régions selon l’échelle) seront habilitées à limiter ou interdire une ligne d’autocar qui porterait attente à l’équilibre économique d’une autre ligne de transport relevant du service public. Cet amendement répond aux collectivités locales et associations de voyageurs qui voient dans l’arrivée des autocars la mort des Intercités, structurellement déficitaires et fortement subventionnés.
Il ne fait donc pas vraiment de doute que la libéralisation des autocars, volet le moins controversé de la loi Macron, aura bien lieu…. même si certains détails, notamment liés aux amendements mentionnés ci-dessus, pourraient encore être modifiés. Pour la dernière mouture du texte de loi, il faudra donc attendre le dernier vote par l’Assemblée.
Des concurrents déjà sur la ligne de départ
Fortes de cette quasi-certitude, les entreprises souhaitant investir ce marché -qui pourrait atteindre 600 millions d’euros– n’attendent pas le décret d’application de la loi pour se mettre en ordre de marche. Cinq d’entre elles sont d’ores et déjà en train de se positionner, notamment grâce à leurs lignes internationales déjà opérées en cabotage (voir notre article précédent sur la loi Macron). Deux entreprises ont déjà pris un peu d’avance :
- iDBUS, filiale de la SNCF, a réussi en 3 ans à se construire une identité en proposant plusieurs liaisons internationales, et compte bien remporter une bonne partie du gâteau. Selon les mots de Barbara Dalibard, Directrice Générale de SNCF Voyages : « On est prêts. On a déjà testé le service et la qualité avec nos iDBUS, validés par la satisfaction de nos clients. Nous allons capitaliser sur nos savoir-faire. »
- Transdev (Veolia) se présente également comme un acteur sur qui il faudra compter ; d’après Jean-Marc Janaillac, PDG de Transdev : «Bientôt, nous devrions pouvoir ouvrir des liaisons intérieures entre toutes les villes distantes d’au moins 200 km et situées dans deux régions différentes, avec des horaires plus pratiques que lorsqu’elles sont exploitées en cabotage». Transdev, qui commercialise déjà Eurolines pour ses trajets internationaux, vient d’annoncer l’arrivée d’Isilines dès juillet prochain, une offre qui proposera des trajets de plus de 200 km vers 17 destinations dès le mois de juillet prochain, sans même attendre la promulgation de la loi !
Une offre de réseau interrégionale, Starshipper, a également été lancée par le réseau Réunir, qui rassemble environ 200 entreprises locales d’autocars. À des fins promotionnelles, elle offrait également des trajets Rennes-Paris pour 10 euros au mois de mai dernier. À noter que l’entreprise présente déjà plusieurs destinations uniquement françaises, sans desserte internationale, ce qui reste pour le moment illégal.
Les concurrents étrangers s’apprêtent eux aussi à développer leur offre en France. Tout d’abord Megabus, qui appartient à l’entreprise britannique Stagecoach, propose déjà des trajets internationaux et en cabotage. L’entreprise se place plutôt sur une logique low-cost proche de Ryanair. Elle a récemment reçu l’autorisation de communiquer sur son offre Paris-Toulouse, assurée dans le cadre de sa ligne Londres-Madrid. Un autre opérateur, Flixbus, n°1 du secteur en Allemagne, a récemment annoncé son intention de s’installer en France dans le cadre de sa politique d’expansion en Europe. Cet acteur présente un modèle économique original pour le marché : l’entreprise signe en effet des contrats de franchise avec des indépendants, ce qui lui permet de se développer extrêmement vite sans avoir à assumer directement le coût du matériel et du personnel. Pour les indépendants, la franchise permet de bénéficier d’une marque connue, potentiellement identifiable dans tout le pays, voire à l’avenir partout en Europe.
Un défi les attend toutefois : si les offres commerciales se constituent, il n’est pas sûr que les infrastructures d’accueil des voyageurs en autocar tiennent la route. Ainsi, le délai nécessaire à la construction ou rénovation de gares routières pourrait bien ralentir quelque temps l’expansion du marché.
Si la France suit le même scénario que l’Allemagne, l’ouverture à la concurrence devrait être marquée par l’arrivée d’un grand nombre d’acteurs de tailles diverses se livrant une bataille des prix acharnée, suivie d’un mouvement de regroupement des acteurs qui permettrait une remontée des prix et la stabilisation du marché dans un horizon de deux ou trois ans. En attendant la signature du décret d’application, les concurrents aiguisent leur stratégie.
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