« J’ai vite réalisé en arrivant ici que le futur d’Uber ne pouvait pas seulement concerner les voitures » Voilà ce que disait Dara Khosrowshahi quelques mois après sa prise de fonction comme CEO d’UBER. Cette déclaration fut une surprise pour tous ceux qui pensaient que le rôle du nouveau CEO serait de redorer l’image du leader des VTC, après une année 2017 désastreuse, et de mener le groupe vers la rentabilité. Mais voilà, la vision de Dara Khosrowshahi est toute autre, son objectif est de faire d’Uber une plateforme multimodale allant jusqu’à souhaiter devenir l’Amazon des transports ».
Nous allons chercher à comprendre les raisons et les tendances qui poussent Uber à se lancer un tel défi tout en dressant un état des actualités en matière de plateformes multimodales en abordant les questions suivantes :
Dans quel contexte sectoriel évolue le groupe Californien?Pourquoi vouloir se diversifier de cette façon? Uber est-il le seul acteur à prendre cette direction? Quels sont les avantages que les plateformes digitales peuvent offrir?
Une offre fragmentée
Bus, métro, vélo, trottinette, taxi, VTC, mais aussi voiture, TER, RER, Train, Bus, Covoiturage et plus encore: nous disposons d’une grande diversité de moyens de transport. Ils correspondent chacun à la combinaison de certains critères que nous définissons pour nos déplacements à savoir (la distance parcourue, le temps de parcours, le prix, le confort, le service…). Par exemple, prendre l’avion correspond à un besoin de rapidité, de confort et de service alors que, pour le même trajet, le covoiturage correspond à un désir de limiter le coût du déplacement. Si la plupart des moyens de transport répondent à un besoin particulier ils sont aussi gérés et proposés par des entités variées. Mais la disparité des opérateurs de transport ne correspond pas du tout à la réalité des trajets effectués par les voyageurs. En effet un trajet « porte à porte » correspond souvent à l’utilisation de plusieurs moyens de transports différents, indépendamment du fait qu’ils soient gérés par plusieurs entités.
Aujourd’hui , il apparait que proposer un unique moyen de transport devient pénalisant pour plusieurs raisons. Premièrement, avec le nombre de possibilités disponibles en matière de transports il est très facile de se faire oublier, à moins d’être un acteur incontournable. Comment ne pas oublier l’application de trottinettes utilisée une seule fois alors que je pourrais aussi utiliser celle des vélos oranges ou des vélos verts? Deuxièmement, chaque étape d’un trajet n’est pas toujours facile à identifier et une offre isolée risque de moins attirer de voyageurs si elle n’est pas inclue dans une proposition complète de trajet. Troisièmement, proposer une offre « incomplète », c’est à dire qui ne répond pas à l’ensemble du trajet des voyageurs revient à limiter ses opportunités commerciales. Comme si un restaurant proposait seulement des frites à côté d’un autre qui propose seulement des steaks, ensemble ils pourraient attirer plus de clients.
C’est pourquoi l’idée de plateforme multimodale possède de réels atouts pour les usagers comme pour les acteurs du transport à savoir: offrir des itinéraires complets et être un partenaire pour différents besoins de mobilités, tout en garantissant une visibilité aux moyens de transport proposés et une fidélisation des voyageurs.
De moyen de transport à offre multimodale
Dara Khosrowshahi n’est pas la seule à vouloir faire évoluer son modèle en plateforme multimodale, Blablacar est en train de réaliser un processus similaire pour faire évoluer son offre. Blablacar c’est l’une des licornes françaises (start-up valorisée à plus d’un milliard de dollars) créée en 2006 qui est devenu le leader mondial du covoiturage. Une rumeur très répandue disait que la SNCF voulait racheter Blablacar, alors même que ce dernier devenait une alternative crédible au géant du rail. Il n’en est rien mais le constat est fait chez les deux acteurs : ils adressent un segment de voyageurs commun. En effet, les dirigeants de Blablacar se sont aperçus que leurs clients appréciaient le service Ouibus de la SNCF, et inversement. C’est ainsi que les deux entreprises se sont rapprochées : Blablacar a racheté Ouibus à la SNCF, qui en a profité pour entrer dans le capital de la start-up. Cette opération va permettre à Blablacar de proposer une offre multimodale et complémentaire de covoiturage-bus-train, en collaboration avec la SNCF. Les clients bus et covoit’ vont ainsi être fidélisés à une seule plateforme qui leur permettra de trouver la meilleure solution à chacun de leur besoin de trajet. Pour Blablacar, cette opération va permettre d’adresser à son segment de marché une offre complète qui permettra de combiner les moyens de transport, mais aussi de bénéficier de la complémentarité de ses offres pour augmenter ses ventes. Les covoitureurs pourront aller plus facilement vers le bus et inversement, cela devrait permettre une augmentation du chiffre d’affaire de l’ensemble.
Venons-en maintenant à Uber, leader mondial du VTC dont l’objectif est de devenir un incontournable partenaire de mobilité. La diversification de son offre a commencé par le rachat de Jump Bikes en 2018 puis par la proposition de locations de trottinettes électriques, qui permettent à Uber d’adresser le marché des courtes distances aussi appelé du « dernier kilomètre ». Ainsi, Uber adresse plusieurs types de besoins et offre la possibilité de choisir le moyen de transport le plus approprié à son besoin. Mais cette offre est totalement parallèle aux réseaux de transport en commun qui restent majoritaires en zone urbaines, elle est donc toujours limitée. C’est pourquoi Uber a déjà commencé à inclure les transports en commun dans ses propositions d’itinéraires, grâce à un partenariat avec l’application Moovit qui est spécialisée dans le calcul d’itinéraires via les transports en commun. Cette expérimentation a lieu à Denver mais l’objectif est de pouvoir étendre cette offre à l’ensemble des villes. A moyen terme, Uber devrait proposer des itinéraires qui utilisent ou combinent les transports en communs, ses VTC, ses vélos et ses trottinettes. Cela parait assez complet pour répondre à quasiment l’ensemble des besoins de déplacements en zone urbaine, mais Uber ne s’arrête pas là. La start-up investit massivement dans des projets d’avenir qui pourraient venir ajouter des possibilités à son offre multimodale.
Effectivement, les principaux investissements à long terme d’Uber sont focalisés sur le développement de véhicules autonomes et la mise au point de taxis volants. Concernant les taxis volants, les premiers vols sont prévus pour 2023, mais le chemin à parcourir pour faire voler ce type d’engins dans les villes parait encore long tant techniquement que légalement. Par contre il existe déjà des véhicules autonomes qui parcourent les routes des Etats-Unis afin de tester leurs systèmes et de poursuivre leurs progrès. Là encore, il semble que la législation sera un frein à la mise en service de véhicules autonomes mais leur circulation libre parait tout de même probable dans un futur proche.
Donc, si Uber parvient à atteindre son objectif de proposer des itinéraires comprenant transports en commun, VTC, vélos et trottinettes, alors l’application sera devenu un vrai partenaire de mobilité permettant de délaisser d’autres opérateurs moins complets. En devenant une plateforme multimodale , Uber pourrait ainsi augmenter le nombre de ses utilisateurs et les fidéliser en répondant à tous leurs besoins de mobilité urbaine. L’avenir s’assombrit pour tout opérateur de mobilité qui ne serait pas inclus dans ce type de plateforme. Heureusement il existe déjà des applications qui proposent un service très complet de calculs d’itinéraires multimodaux et qui incluent des opérateurs variés. C’est le cas de Citymapper.
De plateforme multimodale à opérateur de transport
Classée n°3 en Navigation sur l’App Store, téléchargée plus de 5 millions de fois sur Google Play, l’application Citymapper est devenue une référence en matière de calculs d’itinéraires pour de nombreux usagers. L’idée est simple, Citymapper référence « tous les transports » d’une zone urbaine et propose plusieurs possibilités multimodales pour chaque itinéraire. Le concept de partenaire de mobilité répondant à tous les besoins semble presque atteint. Le seul problème, et pas des moindres, réside dans le fait que Citymapper ne génère pas de revenus et cela risque de devenir bloquant pour continuer à proposer un service de qualité. C’est pourquoi, maintenant que la plateforme est devenue essentielle à beaucoup de gens, Citymapper va proposer son propre service de VTC/minibus et inclure cette offre dans sa proposition d’itinéraires. Smart Ride a été lancé à Londres début 2018, il s’agit de voitures et de minibus commandés à la demande et partagés. Chaque trajet coute 5£ pour le premier passager et 1£ pour chaque passager qui l’accompagne. L’offre Smart Ride de Citymapper devrait être déployée dans d’autres villes pour permettre de dégager un flux important de revenus. Avec ses véhicules, Citymapper devient un nouvel opérateur de transport, en opposition à Uber qui fait le chemin inverse à savoir d’opérateur de transport vers plateforme multimodale.
L’actualité nous montre que Citymapper souhaite se positionner sur un autre aspect de la mobilité, à savoir la billettique. L’application a annoncé le 20 février dernier le lancement de sa carte de transport « Citymapper Pass » qui verra le jour en mars ou avril. Ce nouveau service d’abonnement sera utilisable dans les transports en commun, dans les Smart Rides, pour les vélos Santander et devrait s’étendre à d’autres moyens de transport par la suite. Ici aussi c’est à Londres que l’idée est expérimentée avant de s’exporter à d’autres villes dans les années à venir. En prenant en charge la billettique, Citymapper développe un atout majeur pour s’assurer de la fidélisation des voyageurs et la proposition d’une offre complète de partenaire de mobilité urbaine.
Plateformes multimodales, l’avenir des transports
L’objectif de fournir aux usagers une offre de transport variée, centralisée et digitale n’est pas anecdotique et semble être une tendance profonde du secteur des transports. Ce projet est commun à différents acteurs qui cherchent à se transformer malgré des cœurs de métiers différents, pour répondre à l’ensemble des besoins d’un segment de voyageurs. Le futur nous dira si ces entreprises arriveront à atteindre leurs objectifs, si tous les investissements permettront de créer de la valeur pour les voyageurs, et comment les futures plateformes arriveront à se différencier les unes des autres.
Sources de l’article :
https://www.cnet.com/news/uber-wants-to-be-the-amazon-of-transportation/
https://www.theverge.com/2018/5/15/17340064/uber-ceo-dara-khosrowshahi-interview-elevate-flying-cars
https://www.journaldugeek.com/2019/02/05/uber-propose-trajets-transports-commun-a-denver/
https://www.ft.com/content/7a798068-1664-11e8-9e9c-25c814761640