Après l’aéroport de Toulouse Blagnac en 2014 et les aéroports de Nice Côte-d’Azur et Lyon Saint-Exupéry en 2016, l’Etat a aujourd’hui le projet de céder les parts qu’il détient au capital du Groupe ADP.
Les projets de privatisation de plateformes aéroportuaires ne font aujourd’hui pas consensus et nombreux sont ceux qui s’opposent au désengagement de l’Etat vis-à-vis d’actifs stratégiques et lucratifs tels que ADP.
Retour sur les projets de privatisation des aéroports de Toulouse, Nice et Lyon
Entre 2014 et 2016, 3 aéroports français ont connu des épisodes de privatisation.
En 2014, l’Etat s’est d’abord en partie retiré du capital de l’aéroport de Toulouse-Blagnac[1] en vendant 49,99% des 60% des parts qu’il détenait à un consortium d’investisseurs chinois « Casil Europe ». Le projet voulait par ailleurs qu’à terme, l’Etat cède ses 10,01% restant à ce même. Le gouvernement a finalement décidé en février dernier de ne pas vendre ses dernières parts et de conserver un actionnariat public majoritaire à 50,1%. L’arrivée des investisseurs chinois au capital de la société avait entrainé de nombreuses difficultés dans la gouvernance de l’aéroport.
En 2016, l’Etat cédait 60% des parts qu’il détenait au capital des aéroports de Nice Côte-d’Azur et Lyon Saint-Exupéry [2], respectivement à une société de droit italien (constituée d’Atlantia, Aeroporti di Roma et EDF) et à une société de droit français (constituée de Vinci Airports, la Caisse des Dépôts et Predica). La cession de ces parts avait pris la forme de concessions, qui s’étaleront jusqu’en 2044 pour Nice et 2047 pour Lyon, l’Etat restant toujours propriétaire du foncier et des infrastructures.
Le dernier projet de privatisation aéroportuaire d’actualité concerne désormais le Groupe ADP. Introduit en bourse en 2005, le Groupe ADP a vu la part de son capital détenue par l’Etat se réduire pour atteindre 50,6% en 2013[3], le reste de l’actionnariat étant entre autres composé de Schipol Group à hauteur de 8% et de Vinci à hauteur de 8%.
Si le Groupe ADP exploite les plateformes aéroportuaires de Paris-Charles de Gaulle, Paris-Orly et Paris-Le Bourget, qui ont accueilli 101,5 millions de passagers en 2017, il compte aussi parmi ses activités la gestion d’actifs immobiliers sur ses plateformes ou encore l’exploitation d’aéroports à l’international[4].
Retrait de l’Etat du capital d’ADP : quelles ambitions ?
C’est au sein du projet de loi PACTE « Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises », loi à vocation multiple, que le gouvernement souhaite présenter son projet de privatisation du Groupe ADP, ainsi que celui de la Française des Jeux.
Plusieurs fois repoussé dû à l’encombrement parlementaire ou à la volonté du gouvernement de temporiser[5], le projet de loi devrait être présenté à l’Assemblée Nationale début de l’été c’est pourquoi les détails du projet de loi restent aujourd’hui inconnus. Il a cependant été précisé que les parts de l’Etat, valorisées entre 8 et 9 milliards d’euros, viendraient alimenter un fond destiné à financer l’innovation de rupture[6].
Outre l’utilisation spécifique des liquidités dégagées par la vente de ses parts, les autres arguments avancés en faveur de la privatisation sont ceux d’un gain en efficacité opérationnelle, une amélioration de la ponctualité, un renforcement de la concurrence et un développement de l’investissement[7].
Un rapport de l’ACI (Airports Council International) [8] , publié en 2017, précisait que 41% du trafic passagers mondial passait par des aéroports partiellement ou totalement privatisés alors que 86% des aéroports étaient encore publics. La répartition géographique des aéroports privatisés reste cependant inégale : ils représentent 1% du trafic passager en Amérique du Nord contre 75% en Europe.
Ces différences démontrent que la privatisation n’est pas aujourd’hui une solution évidente en matière de gestion des aéroports. Les oppositions au projet de privatisation du Groupe ADP sont nombreuses, considérant notamment que par le caractère stratégique des infrastructures, les aéroports ne peuvent pas uniquement être gérés par des acteurs privés.
Les oppositions au projet de lois
Le premier argument avancé par les opposants au projet de privatisation concerne le caractère stratégique des aéroports du fait de leur poids économique, leur rôle dans l’organisation du transport intérieur et européen et leur impact en termes d’aménagement du territoire. La mission d’intérêt général supportée par ces plateformes en fait donc des actifs que l’Etat ne pourrait céder à des acteurs privés sans avoir la crainte que ses derniers ne s’en écartent.
D’autre part, certains soupçonnent le gouvernement d’avoir davantage l’objectif de mettre rapidement la main sur des liquidités plutôt que rechercher en premier lieu un gain en efficacité dans la gestion des plateformes. Cette stratégie de vente au plus offrant a d’ailleurs été décriée, notamment dans le cas de la vente par l’état portugais au Groupe Vinci des parts qu’il détenait au sein de aéroports du pays. Le groupe français avait remporté le marché en proposant une offre de rachat 25% plus élevée que ses concurrents. Le retour de bâton non anticipé a notamment été l’augmentation des charges aéroportuaires par Vinci dans le but de s’assurer un retour sur investissement plus rapide[9].
La crainte de laisser à des acteurs privés la fixation des charges aéroportuaires sans contrôle de la part d’un acteur public est aujourd’hui bien réelle au sein du secteur du transport aérien.
Quel compromis trouver ?
Une difficulté supplémentaire réside dans le cas de la privatisation du Groupe ADP et concerne le fait que l’entreprise soit propriétaire du foncier des plateformes aéroportuaires qu’elle exploite en France, à la différence par exemple de l’aéroport de Lyon où l’Etat est toujours propriétaire du foncier.
Le dispositif qui sera proposé dans le projet de loi n’est pas encore défini mais l’une des solutions envisagées est celle de scinder l’entreprise en deux entités, l’une restant propriétaire du foncier dont l’Etat aurait toujours le contrôle et l’autre qui exploiterait ce foncier et pour laquelle l’Etat cèderait ses parts[10].
Afin de palier la crainte d’une dérégulation des charges aéroportuaires qui ferait suite à une privatisation, Bruno Le Maire précisait que si l’Etat se retirait du capital d’ADP, les acteurs publics garderaient malgré tout un contrôle sur ces actifs stratégiques par la régulation[11]. Celle-ci pourrait notamment s’exercer sur les tarifs aéroportuaires, la sécurité et le contrôle des frontières. L’objectif étant de ne pas reproduire la situation au cours de laquelle l’augmentation des tarifs autoroutiers avait fait suite à la privatisation des autoroutes, faute de moyens et de mécanismes de contrôle suffisamment forts dans les mains de l’Etat.
La présentation prochaine du projet de loi permettra de connaître le dispositif choisi par le gouvernement dans la cession de ses parts du Groupe ADP. La concurrence au rachat s’annonce déjà forte avec des entreprises telles que le Groupe Vinci, déjà présent au capital du Groupe ADP.
[1] https://www.challenges.fr/entreprise/transports/la-verite-sur-la-privatisation-de-l-aeroport-de-toulouse_564712
[2] https://www.latribune.fr/economie/france/la-privatisation-des-aeroports-de-nice-et-lyon-est-bouclee-612223.html
[3] https://www.lesechos.fr/30/06/2013/lesechos.fr/0202864191669_vinci–deuxieme-actionnaire-d-adp-apres-l-etat.htm
[4] Document de référence et rapport financier annuel 2017 – Groupe ADP
[5] http://www.lemonde.fr/economie/article/2018/05/18/le-gouvernement-retarde-son-programme-de-privatisations_5300924_3234.html
[6] https://www.la-croix.com/Economie/France/Aeroports-Paris-pepite-gouvernement-financer-linnovation-2018-03-07-1200918915
[7] https://www.latribune.fr/opinions/tribunes/privatisation-aeroportuaire-faut-il-toujours-vendre-au-plus-offrant-770318.html
[8] https://www.lesechos.fr/27/03/2017/lesechos.fr/0211919093192_les-aeroports-privatises-gagnent-du-terrain-dans-le-monde.htm
[9] https://www.latribune.fr/opinions/tribunes/privatisation-aeroportuaire-faut-il-toujours-vendre-au-plus-offrant-770318.html
[10] https://www.latribune.fr/entreprises-finance/services/transport-logistique/les-aeroports-de-roissy-et-d-orly-sont-ils-strategiques-et-si-oui-faut-il-privatiser-adp-752335.html
[11] http://www.lemonde.fr/economie-francaise/article/2018/04/05/privatisation-d-adp-et-de-la-fdj-l-etat-conservera-sa-capacite-de-controle_5280784_1656968.html