Le 14 janvier 2021, la compagnie aérienne Norwegian a annoncé l’arrêt de ses vols long-courriers pour recentrer ses activités sur le marché low-cost européen. La crise sanitaire du Covid-19 semble avoir précipité ce repositionnement stratégique. Cette annonce fait suite à plusieurs faillites de compagnies qui s’étaient également positionnées sur ce créneau du low-cost long-courrier (XL Airways, Aigle Azur, Level France). Ces déconvenues marquent-elles l’échec du low-cost long-courrier ou plutôt une redéfinition de ce modèle ?
Après des débuts encourageants, le low-cost long-courrier rencontre des difficultés majeures
Au début des années 2010, plusieurs compagnies aériennes low-cost se sont développées autour de nouvelles liaisons long-courriers. Plusieurs acteurs comme Norwegian, Wow Air ou encore Level ont ainsi transposé les codes du low-cost court et moyen-courrier sur les liaisons transatlantiques qui étaient jusque là exclusivement exploitées par des compagnies traditionnelles (Air France, Delta, etc.). Le nombre de routes low-cost long-courrier au départ de l’Europe au cours de la saison estivale a ainsi été multiplié par 2,5 entre 2015 et 2017. Ce boom soulevait déjà quelques interrogations, notamment concernant la rentabilité de ces compagnies et la pérennité du modèle.
Au cours des derniers mois, la plupart des compagnies low-cost long-courriers ont fait faillite ou se sont retirées de ce segment. Il ne reste aujourd’hui qu’une seule compagnie française sur ce segment : Frenchbee. La crise sanitaire et la baisse drastique du trafic aérien ont accéléré le déclin de Norwegian et Level France pourtant bien implantées sur le marché français. Avant cela, Aigle Azur, compagnie présente en France depuis 1946, avait dû cesser ses activités en septembre 2019.
Ce modèle, qui ne représentait que 5% de l’offre long-courrier mondiale en 2019, a été fragilisé par la forte concurrence que se sont livrés les nouveaux entrants, particulièrement sur l’axe transatlantique. Ainsi, en 2019, 10 compagnies proposaient des vols entre Paris et New-York, dont 4 low-cost. Plus de 5000 sièges par jour étaient alors proposés sur cet axe hautement concurrentiel. Cette compétition a poussé les compagnies à proposer des prix très bas, jusque-là jamais appliqués pour des long-courriers. Il était alors possible de réserver un aller/retour Paris-New York pour moins de 200€. Ces prix d’appels n’étaient cependant proposés que pour les premiers billets réservés et sans options (bagages, repas, etc.). Déjà affaiblies par cette concurrence effrénée, les compagnies low-cost n’ont pas résistées à l’effondrement de la demande sur l’axe transatlantique suite à la crise sanitaire et la fermeture des frontières.
Pourquoi le low-cost connait-il un si grand succès sur les vols court et moyen-courrier alors qu’il ne semble pas être un modèle pérenne sur le long-courrier ?
Pour tenter de répondre à cette question, il convient d’abord de rappeler les caractéristiques du modèle des compagnies low-cost qui se distinguent des compagnies traditionnelles. Elles présentent une offre simple avec des prix bas uniquement en vente sur internet, offrant une seule classe de voyage à bord avec des repas, boissons ou bagages en supplément. Le low-cost attire ainsi une clientèle Loisirs particulièrement sensible au prix telle que les jeunes ou les familles.
Cependant, le modèle low-cost qui fonctionne bien sur le moyen-courrier n’est pas transposable tel quel sur le segment long-courrier et rencontre plusieurs obstacles :
- Les attentes des voyageurs Loisirs ne sont pas les mêmes pour un vol court ou moyen-courrier que pour un vol long. Pour les liaisons de moins de 3h, il s’agit principalement d’une clientèle dont le critère de choix n°1 est le prix et qui est prête à se passer de certains services de confort comme les repas par exemple. Ces liaisons sont ainsi adéquates pour le low-cost. En revanche, pour des vols plus longs, les voyageurs sont beaucoup plus sensibles au confort et à l’expérience passager. Bien que le prix reste un critère important dans le choix du transporteur, le consommateur est moins enclin à faire des concessions sur son expérience de vol. Ainsi, on remarque une forte différence des attentes voyageurs entre court/moyen-courrier et long-courrier.
- Les caractéristiques opérationnelles d’exploitation de vols en long-courrier sont moins adaptées au modèle low-cost. Le temps de repos que les équipages doivent prendre entre deux vols impose à la compagnie de disposer d’un autre équipage à destination pour le vol retour, ce qui génère des coûts supplémentaires.
- Il est moins évident d’atterrir sur des aéroports secondaires dans le cadre de long-courriers. Les compagnies long-courrier doivent ainsi privilégier les aéroports principaux proches des centres touristiques où les redevances aéroportuaires sont plus importantes. Les escales sont également plus longues ce qui augmente mécaniquement les coûts.
- Enfin, les coûts de carburant sont beaucoup plus importants sur des liaisons long-courrier que sur des vols court et moyen-courrier.
Si les bouleversements que connait le transport aérien ont fragilisé le low-cost long-courrier en France, ce déclin peut également s’expliquer par la forte concurrence sur les prix menée par les compagnies traditionnelles pour conserver leurs parts de marché. Air France a par exemple baissé ses prix sur sa ligne Paris-New York et propose des tarifs autour de 300€[1], proches de ceux qui étaient mis en avant par Norwegian.
Vers une possible reprise dans le futur ?
Une fois la crise passée, comment le marché va-t-il se structurer sur le long-courrier ? Lors du Paris Air Forum, Anne Rigail, Directrice Générale d’Air France, a affirmé que la demande liée au trafic Affaires a nettement diminué et sera certainement impactée pour de nombreuses années encore. En revanche, elle prévoit une reprise importante du trafic Loisirs et un retour au niveau de trafic d’avant-crise à partir de 2025 . Bien sûr, ces prévisions seront très fortement dépendantes de l’évolution de la crise sanitaire.
Il semble donc que le marché du low-cost long-courrier va continuer à connaître une forte demande pour des lignes point-à-point. L’arrivée annoncée de la low-cost américaine JetBlue sur les vols transatlantiques, d’abord entre New-York et Londres à l’été 2021 puis vers Paris, confirme cet engouement pour ces lignes à forte demande.
Toutefois, plusieurs limites semblent se dresser face au low-cost long-courrier. D’abord, il ne propose pas de correspondance ou seulement un système de self-connecting. Pour l’instant, il s’agit surtout d’expérimentations pour les long-courriers. Cela limite les destinations long-courriers que peuvent proposer les compagnies low-costs et renforce la position des compagnies traditionnelles disposant de nombreux accords de partage de codes (accords commerciaux pour vendre des billets pour une compagnie partenaire) entre elles. Pour une grande plateforme aéroportuaire comme celle de Roissy, 30% des passagers sont en correspondance et ce sont donc autant de passagers qui seraient exclus de ces offres.
Se pose également la question de la rentabilité à long-terme de ces compagnies low-cost long-courriers. Norwegian affiche des pertes nettes depuis plusieurs années. Avec des prix toujours plus tirés vers le bas pour faire face à la concurrence féroce sur ce marché, atteindre la rentabilité est un réel challenge.
Ces limites et les difficultés rencontrées par les compagnies aériennes actuellement entrainent une profonde recomposition de l’écosystème des compagnies low-cost long-courrier. L’avenir de ce modèle est encore incertain mais plusieurs scénarios semblent se dessiner. Toutefois, une disparition totale du modèle paraît peu probable. Outre le développement de JetBlue en Europe, une nouvelle compagnie norvégienne Norse Atlantic Airways est à l’étude et a dévoilé ses ambitions de se lancer sur des vols long-courriers d’ici l’automne 2021. Une deuxième génération de compagnies low-cost long-courriers pourrait ainsi voir le jour. En gardant les codes historiques du low-cost, mais en concentrant son activité sur des lignes à fort trafic, et en revoyant leurs prix à la hausse, elles pourraient à nouveau être des acteurs majeurs de l’aérien dans les années à venir.
[1] Source : GoogleFlights