Et si l’abonnement devenait la norme pour tous nos trajets ? Ce modèle de facturation est déjà bien implanté dans notre quotidien. Le pass Navigo a plus de 2,6 millions d’utilisateurs, TGV MAX a fidélisé les 18-27 ans, et ce sont maintenant les compagnies de VTC (Voiture de Transport avec Chauffeur) qui se rêvent en « Netflix de la mobilité ». Terminé la voiture personnelle : place aux services de mobilité ! Telle est en tout cas la vision de Logan Green et John Zimmer, dirigeants du groupe de transport privé Lyft, qui a lancé mi-octobre aux Etats-Unis un abonnement mensuel dédié à la mobilité, le « All Access Plan ». Initiative rapidement suivie par Uber qui deux semaines plus tard lançait son offre « Ride Pass ».
Les nouvelles offres d’abonnements mensuels
Après avoir testé différents formats, l’entreprise américaine Lyft a lancé sur l’ensemble de son territoire national un abonnement à $299 par mois, qui permet à l’usager de disposer de 30 trajets d’une valeur unitaire maximale de 15 dollars. Si le prix de la course excède ce montant, la différence lui est facturée et si les 30 trajets sont consommés une réduction de 5% est offerte sur les prochaines courses effectuées dans le mois.
Le « Ride Pass » de Uber propose, pour $14,99 par mois (compter $24,99 à Los Angeles), des courses à prix fixes, non soumises aux fluctuations de tarifications en fonction de la demande. Cette offre a été développée car « ces variations – même si elles sont minimes – peuvent rendre compliquée l’organisation des trajets en Uber », reconnait le leader du secteur de VTC dans un communiqué.
On peut noter une ressemblance avec le modèle Amazon Prime où le client paye un tarif mensuel pour bénéficier de prix avantageux sur ses commandes. Des critiques ont rapidement été soulevées car ce modèle vient lisser des hausses de prix qui sont le fruit même du système de tarification d’Uber. Pour Robbie Baxter, auteur du bestseller The Membership Economy, cette offre ne serait pas assez séduisante car tout ce que les souscripteurs y gagnent est le droit d’éviter un désagrément qu’Uber lui-même a mis en place.
Les avantages pour les sociétés de mobilité et pour les usagers
Les bénéfices recherchés par les sociétés de VTC sont rapidement identifiables : fidélisation de la clientèle, accroissement de l’utilisation de l’application et meilleure prédiction des ventes.
Faire payer des courses à l’avance est le meilleur moyen pour fidéliser une clientèle déjà sollicitée par de nombreux acteurs du VTC. Et une fois les 30 courses effectuées, le rabais de 5% sur les prochains trajets Lyft incite les usagers à continuer leur utilisation de l’application. Selon une étude réalisée par Empower, le montant moyen dépensé par un utilisateur New Yorkais de VTC est de $84 par mois en Uber et $54 en services Lyft. En proposant un abonnement, Lyft et Uber cherchent à ce que la totalité des dépenses en VTC de leurs clients soient effectuées sur leur plateforme.
Source : https://www.cnbc.com/2018/05/11/how-much-americans-spend-on-uber-and-lyft.html
Encore plus récemment, les programmes de fidélité développés par ces deux sociétés américaines nous montrent le défi majeur que représente la quête de fidélité dans cet environnement hyperconcurrentiel. Uber a sorti son programme le 14 novembre et celui de Lyft est attendu pour décembre.
Un autre objectif recherché par Lyft est d’agir sur les habitudes des usagers en faisant de Lyft leur solution de mobilité privilégiée. Admettons qu’une personne sans abonnement utilise Lyft 20 fois par mois avec un prix par course à $15, il dépenserait ainsi $300 dollars par mois. Si cette même personne décide de souscrire à l’abonnement (qui lui coûte $299), il aura tout intérêt à accroître son utilisation de Lyft au détriment des transports au commun, ou autre solution de mobilité. On peut s’attendre à ce que les utilisateurs s’habituent au confort de mobilité que procurent les VTC et deviennent clients sur le long terme.
Enfin, le travail comptable de toute entreprise se voit facilité quand elle sait à l’avance quelles vont être les rentrées d’argent sur les prochains exercices. Si les courses effectuées ponctuellement ne lui donnent pas cette vision, les abonnements assurent une rentrée minimum de fonds.
Mais les deux entreprises de mobilité américaines ne sont pas les seules à profiter des avantages qui découlent de ces abonnements mensuels. D’après les dirigeants de Lyft et Uber, souscrire à leur abonnement serait l’occasion pour les usagers de faire des économies sur leurs dépenses liées au transport. Avec le « All Access Plan » de Lyft, on se rend rapidement compte des économies réalisables : le coût réel de l’offre est de $450 puisque 30 trajets d’un montant maximal de $15 sont proposés, or le coût commercial n’est que de $299. Du côté de Uber, un client qui prendrait souvent des VTC en heure de pointe, sera lui aussi récompensé en souscrivant à l’offre « Ride Pass ». Les dirigeants d’Uber affirment que l’abonnement permettrait aux utilisateurs d’économiser jusqu’à 15% par mois sur leurs dépenses actuelles.
La deuxième source d’économies vient de la suppression des coûts liés à l’acquisition, l’utilisation et la maintenance d’une voiture personnelle. Un véhicule personnel est en moyenne utilisé 4% du temps et reste garé les 96% restant, un usage très limité donc pour un coût qui avoisinerait les $9000 par an (chiffre obtenu pour les Etats-Unis). Avant même que Lyft ne lance son offre, un ancien analyste de Lehman Brother avait imaginé les économies réalisables grâce au système d’abonnement : « Posséder une voiture […] cela veut aussi dire payer régulièrement pour tout ce dont vous avez besoin – l’essence, la maintenance, le parking ou l’assurance. Dans un modèle futur d’abonnement, c’est le réseau qui couvre tous ces coûts, et les économies vous reviennent ». En plus des avantages pécuniers, voyager en VTC procure un bien-être aux usagers qui oublient le stress de la conduite, la recherche effrénée de places de parking et gagnent un temps non négligeable.
Les limites que présentent ce nouveau modèle de vente
Si cette offre d’abonnement présente des avantages pour les parties prenantes, il convient de souligner les limites auxquelles se heurte ce système. Dans un article publié dans Medium, John Zimmer met en avant la profonde mutation urbaine qui sera une conséquence directe de la disparition de la voiture personnelle : des villes plus aérées car délivrées de l’espace confisquées par les véhicules. Sa vision optimiste ne fait toutefois pas l’unanimité et les VTC ne seraient peut-être pas la solution pour décongestionner les routes si l’on entend les dires des municipalités de San Francisco et de la ville de New York. En effet, selon les estimations de l’autorité organisatrice des transports de San Francisco, le SFCTA, les leaders du secteur Uber et Lyft sont déjà responsables de la moitié (51 %) de la hausse du temps passé dans les embouteillages entre 2010 et 2016. Et fin août, c’est la municipalité de New York qui votait une loi pour encadrer les VTC dans le but de réduire les embouteillages.
En plus d’encombrer davantage la circulation routière, l’avenir du modèle économique des abonnements mensuels n’est pas assuré. Robbie Baxter, explique dans un entretien que la plus grande crainte des entreprises qui passent à un modèle par abonnement est d’attirer uniquement les clients déjà fidèles. Proposer ce type d’abonnement se révèle fructueux si ceux que y souscrivent ne sont pas uniquement les clients qui dépensaient déjà $299 (ou plus) par mois. Si tel est le cas, alors le modèle d’abonnement fera perdre de l’argent en proposant des tarifs attractifs à des usagers déjà attachés à la marque. Pour être rentable, l’abonnement doit permettre de capter de nouveaux clients et/ou fidéliser des usagers qui alternaient entre les différents acteurs VTC.
En 2016, Uber avait été le premier à lancer un abonnement pour profiter pleinement de ses services VTC. Ce dernier a rapidement été arrêté pour des raisons non divulguées mais on peut se douter que la rentabilité du projet n’était pas au rendez-vous.
Un nouveau pas vers la disparition des voitures personnelles
Les dirigeants de Lyft et Uber parient sur la disparition de la voiture personnelle dans les grands espaces urbains dans un futur proche. A en croire John Zimmer, co-fondateur de Lyft, les voitures personnelles disparaîtraient des grandes villes américaines d’ici 2025. La voiture, qui a longtemps été perçue comme un symbole de liberté et une manière d’exprimer son identité, n’a plus la même aura aujourd’hui. La voiture personnelle serait davantage synonyme de contraintes (parking, maintenance) et centre de dépenses (essence, assurance, réparation), ce qui expliquerait la volonté des millennials de s’en passer. Dans les grands espaces urbains, les alternatives à la voiture sont telles que la part des jeunes passant leur permis de conduire ne cesse de décroître. Cette réalité est observable en France comme à l’étranger : dans l’hexagone le taux de jeunes de 18 à 20 ans titulaires du permis de conduire est passé de près de 75% à moins de 40% en quatre ans (étude OpinionWay, 2017) et aux Etats-Unis la part des 16-24 ans titulaire du permis de conduire a diminué de 5 points entre 2000 et 2013.
Fort de ce constat, Lyft n’est pas à sa première initiative pour accélérer le changement et encourager les citadins à se débarrasser de leur voiture. En août 2018 la plateforme VTC a lancé à Chicago le défi « Ditch your car challenge » (« Débarasse-toi de ta voiture ») : pendant un mois, les participants devaient abandonner l’usage de leur voiture et Lyft s’engageait en échange à leur offrir $550 de crédits à dépenser sur l’application Lyft, en location de vélos ou voitures et en transports publics. L’initiative fut un vrai succès et l’opérateur a renouvelé l’opération dans 35 autres villes américaines. La réussite de ce projet nous montre le changement de mentalité qui s’opère chez les propriétaires de véhicules et nous permet d’imaginer le potentiel que peuvent représenter les abonnements de VTC.
Les rapprochements entre Lyft & General Motors et entre Uber & Toyota annoncent une profonde transformation qui touchera notre façon de nous véhiculer dans les prochaines années. L’utilisation de la voiture personnelle devrait continuer à décroître face au développement et déploiement à grande échelle de la voiture autonome à usage partagé. De nombreux spécialistes pensent que notre future manière de nous véhiculer sera en souscrivant à un abonnement pour bénéficier d’un accès immédiat à une flotte de voitures autonomes. La voiture autonome combinée à un abonnement sur mesure permettrait le passage à un modèle de « Mobility as a Service ». Si la voiture autonome atteint le succès qu’on lui prédit, les efforts en matière d’abonnements des sociétés de VTC n’en sont qu’à leurs débuts !