Plus de 2000 ans avant notre ère, la toute première route commerciale reliant l’empire du milieu à l’Europe vit le jour. Elle prit le nom du la plus précieuse des marchandises qui y transitait : la soie. Aujourd’hui, la Chine est devenue « l’usine du monde ». Pour écouler ses marchandises à travers le monde (et l’Europe en premier lieu), Pékin a mis en place un grand plan stratégique, basé sur le fret ferroviaire. Nous consacrerons donc plusieurs articles sur le plan de Pékin pour asseoir son leadership sur le transport mondial.
Raccourcir le parcours pour créer une nouvelle voie commerciale
Avec 293 milliards d’euros de biens importés en 2011, l’Union Européenne est le premier partenaire commercial de la Chine. Les produits chinois que nous consommons ici sont, à 80%, envoyés par voie maritime. Traditionnellement, les marchandises – partant de Chine en bateau- contournent l’Inde et empruntent le Canal de Suez. Une fois ce canal passé, ils voguent jusqu’au détroit de Gibraltar et jettent l’ancre à Rotterdam pour ensuite prendre la route jusqu’à Paris. Il faut compter 48 jours pour arriver en bateau à Rotterdam puis trois jours de plus –a minima- pour le déchargement et le voyage en camion. Nous arrivons donc à plus de 50 jours de trajet.
Pour réduire ce temps de trajet de plus de 25% (en diminuant le temps en mer de 12 jours, et sur terre d’au moins 1 journée), Pékin a décidé de créer un raccourci en misant davantage sur la multimodalité : une fois passé le canal de Suez, les cargos accosteront en Grèce et emprunteront un TGV jusqu’à Budapest … et peut-être demain jusqu’à Paris. Suivons cette route !
Le port du Pirée : la nouvelle porte d’entrée de la Chine en Europe
En 2008, le groupe chinois Cosco a fait l’acquisition de deux terminaux du port du Pirée (le principal port d’Athènes). Depuis, Pékin a l’ambition de faire de ce port la principale plateforme d’entrée des marchandises chinoises en Europe.
Pour cela, la Chine a entamé un grand plan de modernisation de 230 millions d’euros et souhaite en faire une plateforme moderne de transbordement (i.e. passage d’un bateau à un mode de transport terrestre sans toucher le sol) mer ⇒ rail.
Nous ne connaissons pas encore les grandes lignes de cette modernisation. Le transbordement sera-t-il automatique ou semi-manuel ? Pour comparaison, le projet HAROPA (dans le port du Havre), qui automatise complètement le transbordement de 500 000 conteneurs par an avec 8 voies ferroviaires n’a coûté « que » 140 millions d’euros. Sachant que l’investissement prévu dans le port grec est 2 fois plus important, cela ouvre de belles perspectives pour la Chine.
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Belgrade – Budapest, premier tronçon d’un couloir à grande vitesse
Dans la foulée, Pékin a accéléré sa coopération avec la compagnie de chemin de fer grecque Trainose pour le transport de fret. Le tout premier contrat de transport de marchandises a été signé il y a à peine 6 mois pour une liaison Athènes – Prague pour le compte du groupe chinois Huawei, acteur majeur des secteurs électronique et télécoms.
Le Premier ministre chinois avait alors affirmé que Pékin était prêt à soutenir financièrement l’amélioration de ce réseau « afin de réduire le temps de transport vers l’Europe ».
Les paroles ont très vite laissé place aux actes. Le 15 décembre dernier, le premier rail d’une nouvelle une ligne de train à grande vitesse pour rejoindre l’Europe centrale a été posée. Deux jours plus tard, un grand pont permettant le passage des trains à grande vitesse au-dessus du Danube était inauguré à Belgrade.
Ces investissements dans des infrastructures ferroviaires vont permettre aux marchandises chinoises de rejoindre plus rapidement l’Europe centrale, future plateforme logistique de distribution en Europe.
L’Europe centrale au cœur de la stratégie européenne de la Chine
Le trajet emprunté par le convoi Huawai ne doit rien au hasard. L’Europe centrale et occidentale est dans la ligne de mire de Pékin. Outre sa position géographique aux portes de l’Europe occidentale, la Chine souhaite adopter la même stratégie qu’en Afrique : aider au développement d’un marché local pour en devenir ensuite le partenaire économique privilégié.
On peut donc parler d’un plan stratégique européen en deux phases. Dans un premier temps, créer une position de partenaire privilégié et participer à la construction de grandes infrastructures locales (rail, routes, énergie, télécoms…). Puis capitaliser sur cette position pour être le premier acteur sur place au moment où le pouvoir d’achat local sera assez important pour y implanter ses entreprises de biens de consommation (grande distribution, informatique…).
L’Europe : premier axe de la stratégie ferroviaire chinoise
Comme nous venons de le voir, Pékin espère faire d’une pierre deux coups : approvisionner au plus vite un marché mature qu’est l’Europe occidentale et créer au passage un nouveau marché en Europe centrale. Comme nous le verrons dans les prochains articles, cet axe n’est que le premier d’une longue liste de projets qui fera de la Chine l’empire du milieu ferroviaire.