Depuis 2013, le projet Hyperloop formalisé par Elon Musk fait beaucoup parler de lui. De nombreux entrepreneurs se sont lancés dans l’accomplissement de cette vision, et les projets autour de cette technologie fleurissent partout dans le monde. Plusieurs sociétés de l’Hyperloop prévoient même l’ouverture de lignes commerciales d’ici 2020.
Cependant les défis à surmonter restent importants (difficultés technologiques, coût de mise en œuvre, impacts sur le territoire) et les projets entrepris semblent tous bloqués à leur phase d’expérimentation sans réelle perspective d’industrialisation. Les critiques s’élèvent questionnant la viabilité et l’intérêt d’une telle technologie. Dans son article , François Lacôte, ancien directeur technique d’Alstom, jette un pavé dans la marre en titrant : « Hyperloop : formidable escroquerie technico- industrielle ». Il dénonce point par point les incohérences d’un tel projet.
A ce stade, la technologie de l’Hyperloop suscite autant le rêve que la perplexité : quel est l’état des lieux de cette technologie ? Quels seront ses défis à relever ? Concurrencera-t-elle les autres moyens de transport ?
Un business dynamique autour de l’Hyperloop
3 sociétés en compétition
Enormément d’acteurs se sont positionnés sur le développement industriel de l’Hyperloop et se lancent dans un marathon pour mettre au point le premier Hyperloop. Trois sociétés ont pris la tête de cette course en développant des projets commerciaux (voir ci-dessous)
Voici les différents projets à travers le monde et leur niveau d’avancement :
La France : un territoire qui séduit
Le 10 août 2018, TranSpod a déposé la demande de permis de construire de son centre d’essais à Droux, près de Limoges. Une étude environnementale préalable est donc en cours pour lui permettre de construire la plus longue piste d’essai existante de 3km, ainsi qu’un centre de recherche de 1000 m². Un tel emplacement peut paraître surprenant mais il s’agit justement de désenclaver la ville de Limoges qui n’est toujours pas reliée à la capitale par TGV.
De son côté Hyperloop TT a été attiré par l’écosystème aérospatial de la ville de Toulouse. Plusieurs projets sont menés simultanément : la construction d’une piste d’essai provisoire au sol de 320 mètres de long qui sera opérationnelle à la fin de l’année puis une autre piste d’essai sur pylônes, à 5,8 m de hauteur et longue de 1 km pour 2019.
Malgré l’explosion des projets Hyperloop, aucun test n’a encore permis d’atteindre la vitesse visée soit 1000 km/h. La réussite d’un de ces projets est donc essentielle car l’Hyperloop est jugé par ses opposants comme un effet médiatique pour les collectivités territoriales de régions enclavées, non reliées à la capitale par le TGV.
Les premiers trajets commerciaux Hyperloop sont prévus à l’horizon. Hyperloop TT voudrait inaugurer sa première ligne pour l’exposition universelle de Dubaï de 2020. Un challenge de taille au regard des défis qu’il reste à surmonter !
De multiples incertitudes et incohérences dans le projet initial
Le débit de passagers
Le TGV aujourd’hui, c’est en théorie 1 000 passagers transportés avec une fréquence de train toutes les 3 à 4 minutes, soit un débit théorique de 20 trains à l’heure ou 20 000 passagers à l’heure. L’Hyperloop, dans son postulat de départ, prévoit un débit de 3 600 voyageurs par heure donc déjà bien en deçà de celui du TGV.
De plus, ce postulat sera surement à relativiser. D’abord, parce que les capsules Hyperloop présentées jusqu’ici ne permettent de transporter que de 28 à 40 personnes. Ensuite, la fréquence des navettes fixée à intervalle de 40 secondes ne semble pas avoir pris en compte la distance d’arrêt nécessaire à l’Hyperloop. Pour des raisons de sécurité l’espacement de sécurité entre les trains doit prendre en compte la distance de freinage qui est déjà de 3,3km minimum pour un TGV roulant à 300km/h et serait de 10km pour une vitesse de 900km/h avec une décélération identique. Même en optimisant la distance entre chaque train, on arriverait à un intervalle minimum de 6 minutes entre chaque Hyperloop. Ainsi, le débit serait encore plus faible.
Certes, certains trajets seront effectués beaucoup plus rapidement mais finalement la « vitesse collective » ne serait pas réduite. Il faudra toujours le même temps total pour transporter un nombre de passagers donné en même temps.
La faiblesse du débit aura bien sûr un impact sur la rentabilité du projet. En comparaison, à débit de passagers supérieur, peu de lignes TGV sont aujourd’hui rentables en France. Il faudra également prendre en compte les coûts d’infrastructure et d’exploitation dans la rentabilité du projet et ceux-ci sont aussi très hypothétiques.
Une incertitude sur les coûts
Le projet initial présenté par Elon Musk en 2013 estimait le coût du projet San Francisco-Los Angeles à 6 milliards de dollars, soit 11,5 millions de dollars par kilomètre (environ 10 millions d’euros) ce qui est largement en deçà du coût d’une LGV française d’environ 20 millions d’euros le km.
Plusieurs études reviennent sur ce propos en expliquant les incohérences de coûts dans cette équation de départ.
Dans un bilan sur les prévisions de coûts de Elon Musk, un spécialiste des transports démontre plusieurs sous-estimations de coûts, notamment au niveau des pylônes. Les récentes constructions de trains surélevés dans le monde montrent que les pylônes coûtent très chers. Le récent projet du California HSR a montré que les coûts unitaires des viaducs (sans prise en compte des frais de gestion) sont déjà plus élevés que les prévisions pour l’Hyperloop, soit de 50 à 80 millions de dollars par kilomètre.
Deuxième écueil dans la copie d’Elon Musk : les spécificités de territoire n’auraient pas été prises en compte dans les coûts. Comme dans tout système de transport il y a des variables d’un marché à l’autre, tels que les coûts d’obtention de permis de constuire et d’achat des terrains, la nécessité de creuser des tunnels et la construction de stations. En ce sens, des documents de coûts de Virgin Hyperloop One divulgués par Forbes révèlent que les prévisions du concept seront largement dépassées. En effet, la liaison Abou Dhabi-Dubaï coûterait finalement 4,8 milliards de dollars soit 52 millions de dollars par kilomètre.
Enfin il est difficile d’évaluer les coûts d’une technologie immature. Nicolas McLean, un ingénieur de l’université de Queensland a analysé les coûts d’un projet similaire sur la côte Australienne et les a estimés à dix fois supérieurs à la prévision d’Elon Musk du fait de l’immaturité de la technologie. Ce scepticisme est aussi partagé par une analyse du « US Department of Transportation (DOT) », pointant l’incertitude sur les besoins d’infrastructures pour exploiter ce système et le coût de sa construction.
Ces écarts de prix auront donc certainement une influence sur le coût du billet annoncé par Elon Musk à 20$ par trajet.
Incertitude de sa place dans la société
L’idée de progrès dans le transport est toujours corrélée à celle de la vitesse et c’est en ce sens que l’Hyperloop projette de nous faire déplacer à la vitesse du son.
Or, l’utilité même du gain de vitesse est aussi questionnée par les spécialistes qui estiment d’une part, que le ratio optimal coût/vitesse de trajet a déjà était atteint, et, d’autre part, qu’un gain de vitesse aussi considérable créerait paradoxalement un transport à deux vitesses.
En effet, dans une lettre du club Pangloss de 2018, François Lacôte rappelle les difficultés à réduire le temps d’un trajet à partir d’un certain seuil de vitesse. En d’autres termes, le temps gagné sur un trajet grâce à une augmentation de la vitesse décroit avec la vitesse même.
De plus, SNCF qui a elle-même investi dans la société Hyperloop One affirme qu’aller au-delà de 360km/hm est, certes, possible mais nécessite des investissements lourds comparés au bénéfice de temps.
Concernant l’utilité sociale de la vitesse, un rapport de l’office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques de 2018 explique la composition des coûts collectifs de transport pour la société : subventions publiques, coûts environnementaux et énergétiques et coûts sociaux. Or, historiquement on constate que plus les temps de transport baissent, plus les personnes multiplient leurs trajets et donc leurs coûts de trajets associés. Ainsi, l’Hyperloop pourrait créer un système à deux vitesses où seuls les plus riches bénéficieraient des transports les plus rapides. Yves Crozet, un économiste ajoute que les prix du billet de l’Hyperloop ne pourront pas descendre en dessous de 3 centimes par kilomètre, soit le coût d’un Ouigo aujourd’hui.
Le progrès n’est donc pas forcément lié à une augmentation de la vitesse. Il l’est seulement quand il est démocratisé.
Enfin, le rôle de l’Hyperloop parmi les autres modes de transport est difficile à définir. Si l’intérêt est clair, dans les grands pays comme les Etats-Unis ou la Chine où le train n’est pas le mode de transport privilégié et où les liaisons entre grandes villes sont faites par avion, il l’est moins dans un pays comme la France où les Lignes Grandes Vitesses sont très démocratisées et pourraient être concurrencées. Or, l’Hyperloop n’a pas pour vocation à se substituer aux autres moyens de transports du territoire.
Il se positionne donc plus comme un moyen de relier les capitales où les grandes métropoles et pose alors la question du bénéfice pour les territoires traversés où il ne marquerait pas d’arrêt.
Le dernier point à souligner est que pour les trajets de plus de 1000km, l’avion est le transport le plus compétitif. En dessous de 400km, le train présente des avantages de temps puisqu’il permet un accès plus facile aux centres villes. L’Hyperloop lui resterait en marge des métropoles et des centres- villes pour des raisons de coûts et d’aménagement du territoire.
Des incertitudes techniques
Techniquement il reste encore des défis à relever. La vitesse de 1200 km/h visée initialement serait possible grâce à un système de capsules propulsées dans des tubes à basse pression. La capsule se déplace sur un coussin d’air : des électro-aimants jalonnant le tube repousseraient ceux de la capsule. C’est le concept de sustentation magnétique. Ici, contrairement au système roue-rail, aucune force de frottement ne vient altérer la vitesse.
Le seul défi technique de ce système, est celui de la résistance de l’avancement avec la pression de l’air du tube.
Ce défi connu est posé par la limite de Kantrowitz, une limite de vitesse posée par la résistance de l’air dans un tube. L’air obligé de traverser l’espace vide entre les parois du tube interne et la capsule, atteint une vitesse critique au-delà de laquelle, le flux stagne. La capsule ne peut plus avancer, à l’image d’une seringue dont la buse serait bloquée empêchant la poussée du piston vers l’avant.
Dans un article sur les limites de l’Hyperloop, l’ingénieur Ivàn Rivera explique que Elon Musk a prévu une parade : il décrit une capsule composée d’un compresseur d’air à l’avant, qui aspire l’air, et, d’un conduit d’air, comme un réacteur d’avion, qui permet de rejeter l’air à l’arrière de la capsule. Cela évite l’effet piston décrit par Kantrowitz. L’ingénieur rejette cette solution car selon lui aucun modèle de compresseur axial de cette taille n’existerait sur le marché.
François Lacôte met quant à lui en évidence la recherche d’un compromis impossible entre deux objectifs contradictoires :
- La réduction de la pression de l’air dans le tunnel (1000 fois plus faible que la pression atmosphérique) afin de diminuer la résistance à l’air et que l’espace entre le tube et la navette soit le plus limité possible. En effet, la taille du diamètre du tube est un élément de coût important.
- La conservation d’un minimum de pression d’air pour refroidir les organes de traction et assurer le renouvellement d’air de la climatisation pour le confort des voyageurs.
Conjuguée à cela, l’approche de la vitesse du son dans un tube peut engendrer des phénomènes soniques avec des effets graves sur les capsules et les passagers.
La sécurité des passagers
La gestion de la sécurité grand public dans ce mode de transport qui s’apparente en tous points à une attraction à sensations fortes, reste encore peu abordée.
En cas d’accident (panne d’alimentation, de signalisation ou immobilisation de la capsule) comment gérer une réalimentation en air ? Une re-pressurisation rapide du tunnel entrainerait la mort de tous les passagers.
Le secours des passagers pose aussi de grandes interrogations : si sur un tronçon de 40km cela était réaliste, sur des tronçons de centaines de kilomètres le véhicule de secours qui devra rouler avec une mise sous pression atmosphérique sera soumis à une vitesse limitée à cause de la résistance de l’air.
Une autre critique porte sur le confort des passagers, le voyage pourrait être un véritable enfer selon les experts.
- Le bruit généré par les systèmes à sustentation serait insupportable : la pression acoustique, étant donnée la légèreté de la cabine, serait forte et toutes les petites aspérités sur la voix génèreraient un bruit d’autant plus important
- L’intensité des freinages et des accélérations serait tellement forte qu’elle pourrait provoquer la perte de connaissance chez les passagers.
Un concept condamné au stade expérimental ?
Face à ces multiples obstacles les ambitions de l’Hyperloop sont déjà revues à la baisse. Pour l’heure l’Hyperloop n’en est encore qu’à un stade expérimental, et toutes les préoccupations se centralisent sur le seul sujet de sa mise en œuvre d’un point de vue purement technologique. La finalité de transporter des voyageurs, reste peu prise en compte dans les expérimentations.
De plus ne faudrait-il pas se poser la question du pourquoi avant celle du comment ? L’Hyperloop montre un réel intérêt environnemental et son rapprochement des distances s’inscrit dans une idée de progrès. En revanche, son impact sur l’aménagement du territoire : renforcement des logiques de polarisation, concentration autour des lieux desservis et exclusion des régions les plus enclavées pourraient aussi bien engendrer des effets pervers tels que la congestion, les problèmes d’accessibilité et la fragmentation du territoire.
Finalement l’issue de l’Hyperloop n’est pas encore certaine : sera-t-il le transport du futur ou restera-t-il une simple ambition technologique ?
A retrouver : plusieurs articles rédigés sur les aspects techniques de l’hyperloop, ses avancées et ses ambitions.
J’adhère à cet état des lieux du concept Hyperloop.
J’y ajouterais une dimension politique, en plus des aspects déjà abordés dans l’article : faire miroiter aux décideurs, élus ou techniciens, de l’aménagement des territoires qu’il existe des solutions qui démodent le chemin de fer conduit à relever encore la marche à franchir pour lancer des investissements lourds pour les trajets intervilles/régions ; alors qu’ils hésitent, de peur à passer pour des ringards qui tournent le dos à l’innovation, ces décideurs doivent néanmoins opter pour certains aménagements et ce sont probablement l’aérien et le routier qui bénéficieront de ces atermoiements.
Pour un Euro investi dans un Hyperloop, combien une communauté nationale ou binationale récupèrera-t-elle à l’échelle du service offert à la population ?