Le fret ferroviaire français a-t-il encore des cartes à jouer ? Avec seulement 10% des marchandises transportées en France, le fret ferroviaire connait une perte de vitesse particulièrement inquiétante, et ce malgré les nombreux plans de relance initiés par l’Etat ces dernières années. Le résultat est pourtant sans équivoque : mis à mal par le transport routier depuis déjà plus de 60 ans, le trafic a encore diminué de 20% depuis l’ouverture à la concurrence en 2007, pourtant censée redynamiser la filière.
Une situation difficile pour le fret ferroviaire français
Financièrement, les chiffres sont inquiétants, même si la situation s’est améliorée dernièrement avec des pertes annuelles passées de 500 à 150 millions d’euros pour la partie Fret de la SNCF. Tout le groupe pâtit depuis plusieurs années des mauvaises performances du fret, comme le reconnait Guillaume Pepy.
Côté autoroutes ferroviaires, ces grands axes traversant la France de bout en bout, et offrant une offre régulière et massive de trains de fret, le gouvernement a annoncé en avril dernier renoncer au projet « atlantique » entre le Pas-de-Calais et les Landes. Le dossier a reçu un avis négatif du Conseil général de l’investissement, après avoir été pourtant annoncé comme un projet de relance de la filière.
Enfin, l’abandon de l’Ecotaxe, qui devait faire payer aux camions de plus de 3,5 tonnes l’usage des infrastructures routières françaises et rendre le rail plus compétitif, a mis du plomb dans l’aile au ferroviaire.
À contre-courant de nos voisins européens
Ailleurs en Europe, pourtant, le ferroviaire résiste bien aux transformations du transport de marchandises, comme le souligne un rapport récent du Sénat sur l’état des lieux du fret français. Le trafic a augmenté de +50% en Allemagne sur la période 2000-2010, de telle façon que le fret ferroviaire allemand, équivalent à celui de la France en volume il y a 20 ans, est 4 fois supérieur aujourd’hui. Même constat au Royaume-Uni où la croissance est de 11% sur les 10 dernières années, ou encore en Suisse où la filière s’est développée de +35% en 20 ans.
Il y a bien évidemment des raisons économiques et géographiques plus larges qui expliquent les difficultés rencontrées en France, à commencer par une densité industrielle bien plus faible que chez nos voisins directs (Allemagne, GB, Benelux, Italie). S’ajoute à cet état de fait des exportations modestes et des grands ports maritimes trop peu développés : les ports français réunis représentent un tonnage plus faible que celui de Rotterdam seul, et Anvers est devenu la 1ère porte d’entrée maritime pour les marchandises à destination de la France. De plus, les ports français sont insuffisamment connectés au rail, avec environ 10% du tonnage transféré sur rail contre 30% à Hambourg.
Cependant, les choix faits en matière d’investissements sur le réseau depuis 30 ans ont eu raison de la qualité de l’offre fret française : niveau d’investissement le plus faible en Europe, de nombreuses lignes non électrifiées, absence de voies ferrées dédiées au fret, et une trop grande priorité donnée au transport régional de voyageurs (développement des TER). Le constat est amer : quand bien même l’activité de fret repartirait, ce ne serait pas avant des années, le temps de remettre à niveau le réseau.
Des pistes d’amélioration pour la filière
Des solutions concrètes existent pourtant, comme l’illustrent les performances positives constatées en Europe. Tour d’horizon des leviers identifiés :
Diminuer les coûts de fonctionnement
La rentabilité des nouveaux entrants privés sur le secteur depuis 2007 a permis de pointer du doigt les coûts salariaux de fret SNCF, qui porte une grande responsabilité de la chute de la filière. Ainsi, la SNCF a perdu au printemps dernier l’un de ses plus gros contrats (la livraison des eaux Evian dans le Rhône-Alpes) au profit d’un transporteur privé.
Selon un rapport de Bain & Company, les coûts salariaux de la SNCF, pour l’exploitation, sont quasiment le double de ceux observés chez les opérateurs privés. Ce qui explique le choix fait par la SNCF de développer une filiale de droit privé, VFLI, qui est aujourd’hui le 3e opérateur français avec 6% des parts de marché. L’Espagne est allée encore plus loin, la branche fret de la Renfe étant à la recherche d’un partenariat européen dans une perspective de privatisation.
Se recentrer sur les activités pertinentes économiquement
Économiquement, le mode de transport optimal dépend avant tout de la distance, du type de marchandises, de leur quantité et des délais imposés. Le transport ferroviaire trouve ainsi sa pertinence sur de longues distances, pour des marchandises lourdes, en grande quantité et livrées dans des délais peu serrés.
Aujourd’hui, seule la moitié des trafics fret de la SNCF sont dans le domaine de pertinence économique, c’est-à-dire compétitifs par rapport à la route. Il convient donc de recentrer l’activité sur le transport combiné et les trains massifiés réguliers, et abandonner la filière du wagon isolé.
Développer une logique de la demande au service des entreprises
La logique de l’offre longtemps privilégiée en France n’a pas su porter ses fruits. Il est nécessaire désormais d’organiser le fret en fonction des attentes des clients, comme ont su le faire les nouveaux acteurs privés du marché. Cela nécessite de développer les équipes commerciales de Fret SNCF et de mettre en place une politique volontariste de démarchage des entreprises.
Selon une étude Eurogroup de 2013, seul 50% des utilisateurs du service de fret ferroviaire en sont satisfait, contre 91% pour le mode routier. Le manque de lisibilité et de compréhension de l’offre ferroviaire, ainsi que l’absence d’offres packagées sont pointées du doigt. Les clients plébiscitent une cartographie des acteurs et de leurs réseaux et la diminution du nombre d’échelons de décisions, afin de rendre la filière plus transparente tant en termes d’offre, d’organisation, de coûts et de répartition des responsabilités.
Accompagner les clients potentiels
La Suisse ou encore l’Allemagne privilégient des aides ponctuelles pour financer les raccordements aux réseaux des entreprises désireuses de faire appel au ferroviaire. Une façon pragmatique de doper la demande en facilitant l’accès au service.
En France, SNCF Réseau a pris conscience de la nécessité d’écouter les besoins des clients, et déclare souhaiter que l’Etat et les collectivités soient plus à l’écoute des filières industrielles afin de ne pas multiplier les coûts d’infrastructures et d’adapter le réseau ferré aux trafics prévisibles. Une manière d’être plus à l’écoute de la demande pour espérer relancer la filière.
Une faible densité industrielle dans l’absolue ne peut pas expliquer une baisse du fret, ce qu’il faut regarder c’est l’évolution de la densité industrielle.
Cependant, on peut aussi douter de cet argument pour expliquer la baisse du fret en France car même si l’on produit moins, on consomme autant (hors considérations d’évolution du pouvoir d’achat). Ex : La délocalisation d’une usine auto au Brésil. Avant on exportait ces voitures. Dans une phase transitoire on ne va plus exporter que des pièces détachées et importer les voitures (période la plus propice au développement du fret) et, à long terme, on délocalise totalement. Le flux s’inverse, on importe les voitures.
Ainsi, je ne suis pas convaincu que cela ait une incidence sur le niveau de trafic fret avant et après délocalisation.
En revanche, cela a une influence sur le choix modal et le type de train. Les marchandises à forte valeur ajoutée, désormais importées, vont privilégier le camion et les trains combinés. Ces marchandises sont très sensibles au temps de parcours. Pour faire le lien avec l’étude d’Eurogroup que vous citez, cette part de plus en plus importante de produits à forte valeur ajoutée dans le transport de marchandises exige une ponctualité que le train a de plus en plus de mal à offrir. En définitive, je pense que l’évolution du tissu industriel n’a pas d’impact sur la demande de fret dans son ensemble. En revanche, le changement de nature des marchandises transportées en France, en lien avec la modification du tissu industriel, peut avoir un impact sur la part modale du fret ferroviaire, dont la ponctualité n’est souvent pas à la hauteur pour des produits à forte valeur ajoutée.
Par ailleurs, comme vous le dites, on peut citer d’autres facteurs :
-La faible compétitivité des ports français, dont l’hinterland est bien plus réduit que ses concurrents du range du nord (il est aussi possible d’avoir un long débat sur ce sujet),
-La capacité principalement réservée aux voyageurs, via un système de sillons accords-cadres construits longtemps en amont. Le fret n’a pas assez de visibilité deux ans en avance pour pouvoir se faire entendre dans la structuration des graphiques de circulation. Il s’inscrit difficilement entre les sillons voyageurs. Cela a deux effets : moins de sillons disponibles et des sillons de moindre qualité. Les grands ports du Nord de l’Europe ont des voies dédiées fret qui empêchent ce genre de désagréments (Ex: la Betuwe Line). A l’inverse, si l’on regarde la desserte ferroviaire du port du Havre, la voie est largement empruntée par tous types de circulations. A cet égard, la hausse du trafic TER, depuis la récupération de la compétence transport par les régions, n’a pas amélioré la situation du fret ferroviaire,
-La surréservation de sillons menant à emboliser le système bien que tous les sillons ne soient pas circulés. Deux phénomènes peuvent expliquer cela : 1. la logique de structuration du graphique, déjà décrite, menant les EF Fret à demander le plus grand nombre de sillons possibles dans la « faible » capacité résiduelle, afin de sécuriser le passage des zones les plus contraintes. 2. une stratégie « défensive », afin de s’accaparer la capacité qui pourrait être utilisée par des EF concurrentes (pour ces deux points il ne s’agit pas d’une affirmation mais plutôt d’une forte suspicion, je ne veux pas un procès pour diffamation mais il est aisément facile de savoir qui cela peut arranger 😉 ). Cela soulève la question de la responsabilité du gestionnaire d’infrastructure afin de mettre en place un système plus vertueux, suffisamment contraignant afin d’éviter la surréservation tout en évitant une perte de trafic si ces contraintes devenaient trop importantes,
-L’état du réseau emprunté par le fret et plus particulièrement les lignes capillaires, génératrices d’une grande partie du trafic,
-Les coûts de Fret SNCF. Le développement de l’offre Multi Lots Multi Clients vise à retrouver une meilleure compétitivité mais s’est faite au détriment de certains trafics dont les volumes étaient trop faibles,
-La concurrence ne paraît pas être un facteur explicatif, sauf à dire que dans une économie concurrentielle chaque EF doit être à l’équilibre économique. Cette situation, mettant fin aux « subventions croisées », chassées par la Commission européenne, oblige les entreprises ferroviaires à se concentrer sur une activité « rentable ». Fret SNCF ne peut donc plus continuer à être déficitaire et bénéficier de subventions ou péréquations internes au groupe SNCF permises notamment par des financements publics. Dans une logique de concurrence pure et parfaite, cela doit aboutir la fin des « trafics subventionnés ». La séparation comptable entre activités SNCF, réclamée par l’Araf, est une condition préalable à la fin des subventions croisées.
Par ailleurs, la croissance importante des nouvelles EF, semble montrer que la concurrence n’est pas le vrai ennemi du fret ferroviaire. Elle aura eu comme vertu de rétablir la vérité des coûts ferroviaires (instructif au regard du concept « d’inflation ferroviaire » qui permet de justifier une augmentation non maîtrisée des coûts par SNCF (Réseau et Mobilités) et en prévision de l’ouverture à la concurrence des trafics voyageurs). Selon moi, un seul phénomène non-vertueux, déjà cité, est lié à l’ouverture à la concurrence : la surréservation de capacité. Cependant, il revient au gestionnaire d’infrastructure de résoudre ce problème,
-La crise économique et le pouvoir d’achat des français qui a baissé ces dernières années,
-La logique « logistique » (petits envois et faibles stocks) qui a pris le pas sur la logique de transport massifié, pourtant plus favorable au fret ferroviaire. Cela est à mettre en lien avec la restructuration du tissu industriel français mais aussi avec d’autres phénomènes complexes et entremêlés (prix du foncier, changement des habitudes de consommation et diversification des produits,…),
-D’autres raisons que j’oublie où qui m’échappent mais qui mènent à récuser, ou au moins nuancer, le discours ridiculement réducteur de certains responsables politiques : ouverture à la concurrence = chute du fret.