D’années en années les temps de trajets en transports en commun se prolongent, les VTC se démocratisent et les voyages deviennent de plus en plus accessibles. Ils ont ceci de commun qu’ils génèrent un temps de passivité, un temps libre sur lequel nous ne demandons qu’à être divertis. Or les divertissements ne manquent pas à l’ère du numérique : les géants comme Netflix, YouTube, Spotify ou encore Facebook, pour ne citer qu’eux, se livrent une bataille sans merci pour gagner quelques minutes de notre précieuse attention. En parallèle, les applications de mobilité ne cessent de se développer et permettent à toute personne équipée d’un smartphone et d’une connexion internet de prévoir son trajet quasiment à la minute près. Mais n’existe-t-il pas une opportunité lorsqu’on met côte à côte ces trois constats ? Est-il envisageable qu’une application permette, de se divertir en plus de planifier son trajet ?
Le divertissement numérique, un secteur ultra-concurrentiel au potentiel certain
Le divertissement numérique fait face à une situation particulière : la quantité de contenu produite est considérable face au temps dont disposent les utilisateurs pour la consommer. Autrement dit, l’offre est largement supérieure à la demande et les acteurs du secteur doivent lutter pour gagner l’attention des utilisateurs, et la garder aussi longtemps que possible. Cette durée de captation de l’attention est au cœur des business models de l’économie de l’attention : contenus sponsorisés, publicités, freemium ou encore abonnements, sont d’autant plus rentables lorsque le consommateur se rend régulièrement sur le service proposé, pour y consommer beaucoup de contenu. Être performant c’est donc :
- attirer des utilisateurs régulièrement,
- sur les durées les plus étendues possibles
- dans un contexte de concurrence extrême
Or vous l’aurez compris, du temps libre, long et régulier c’est précisément ce que génèrent les trajets quotidiens en transports publics et en VTC. Et les usagers n’ont pas attendu une application mutualisant transport et divertissement pour s’y distraire avec du contenu numérique puisque 41% d’entre eux utilisent déjà leur téléphone (SMS et musique principalement) pour s’occuper dans les transports. Cependant la marge de progression pour le secteur du divertissement numérique est forte avec plus de la moitié des usagers qui déclarent peu utiliser leur smartphone dans les transports. Ainsi nous pouvons considérer qu’il existe une place libre pour le divertissement numérique dans les transports, une place qui sera d’autant plus facile à occuper que les usages changent.
En effet, au-delà de disposer d’un espace potentiel dans ce contexte, le développement du divertissement numérique est une tendance générale.
Le baromètre des usages numériques 2018 indique que le taux d’équipement en smartphone est passé de 17% en 2011 à 75% en 2018 et que le taux d’utilisation des réseaux 4G est lui passé de 12% en 2014 à 58% en 2018. Ces taux sont encore plus élevés chez les jeunes : 83% des 12-17 ans et 98% des 18-24 ans déclarent posséder un smartphone et une large majorité a recours aux réseaux mobiles, parfois même au détriment de la connexion WiFi box de leur foyer.
On notera également que l’agglomération de résidence a un impact sur le taux d’équipement, ainsi les citadins sont plus susceptibles de posséder un smartphone et d’utiliser régulièrement la 4G. Or ces mêmes citadins ont également plus de chance d’utiliser les transports en commun et donc de disposer du temps auquel nous nous intéressons ici.
Par ailleurs l’usage de services de replay et de streaming ne cesse de croître avec désormais plus d’un quart de la population abonné à un service de streaming illimité. Encore une fois c’est chez les jeunes que la progression est la plus forte, à tel point que les 18-24 ans passent aujourd’hui plus de temps à visionner des vidéos et des films sur internet que devant la télévision (14h vs 10h).
Nous sommes donc en présence d’un marché à conquérir et d’une conjoncture favorable, qui laissent présager de l’existence d’une opportunité de développement dans les années à venir, qui pourrait se révéler immanquable dans un tel contexte de concurrence.
Des bénéfices potentiels conséquents pour les opérateurs et les usagers
Si l’opportunité de toucher des utilisateurs est nette pour les acteurs divertissement, les gains à attendre pour les acteurs de la mobilité sont tout aussi importants. Pour des services se revendiquant comme des hubs de l’organisation de trajet (comme Uber), deux bénéfices majeurs sont à envisager, avec une forte répercussion sur les usagers :
- L’amélioration de l’expérience utilisateur : le contenu adapté au trajet viendrait à l’utilisateur de façon centralisée sans avoir à être recherché sur plusieurs applications. Qui plus est, une plateforme performante proposerait un contenu personnalisé. Un gain en confort bénéfique à la fois pour les voyageurs, dont les trajets seraient plus agréables, et pour les applications qui profiteraient d’une amélioration substantielle de leur niveau de service.
- Un gain financier : nous l’avons souligné précédemment, le marché du divertissement numérique est ultra-concurrentiel ; la mise en place de partenariats rémunérés pour une présence sur l’application avec des acteurs du divertissement pourrait être une manne financière venant renforcer des business models éventuellement incomplets. On pourrait aussi envisager des packages d’abonnement comprenant transport et divertissement, y compris en dehors du trajet, au coût réduit par rapport à des abonnements distincts, avantageant l’usager.
Si les bénéfices sont envisageables pour les utilisateurs et les acteurs de la mobilité, la perception du service par les usagers est la clef de voute de sa réussite. Il est nécessaire que le gain en confort soit évident, et présent dès la première utilisation, afin d’inciter l’usager à utiliser le service régulièrement pour en tirer des bénéfices sur le plan financier.
Quelques freins à l’entrée
Se pose maintenant la question des enjeux autour de l’intégration d’une fonctionnalité de planification de divertissement dans une application de calcul de trajet (type SNCF), lançons-nous donc dans l’esquisse de ce qu’elles pourraient être.
Comme vu précédemment le secteur est extrêmement concurrentiel et devant l’océan de contenu proposé, l’utilisateur peut tout simplement ne pas se jeter à l’eau en renonçant à consommer du contenu. Il convient donc de l’orienter dans son choix :
- Le premier critère à prendre en compte ici, et principale source de valeur ajoutée de la fonctionnalité, est l’intégration du temps de trajet et des conditions dans lesquelles l’utilisateur voyage afin de lui proposer un contenu qu’il sera effectivement en position d’apprécier. Par exemple il paraît peu pertinent de proposer un film d’une heure et demi lors d’un trajet en tramway de 20 minutes.
- Le second critère est plus classique : proposer un contenu susceptible de plaire. Tous les acteurs du divertissement en ligne disposent aujourd’hui d’algorithmes de recommandation pour guider leurs utilisateurs. Seulement la problématique posée ici requiert une sélection multiplateforme du contenu, proposé par un nombre conséquent de fournisseurs indépendants. L’optimisation de la proposition passe donc par un tri entre plusieurs sources qui peut être effectué intégralement par un algorithme de recommandation ou un système hybride qui laisse à l’usager la décision finale, par exemple, un système de swipe analogue à celui proposé par l’application « La Matinale du Monde ».
Cette sélection de contenu se doit d’être intégrée directement à l’application afin de remplir pleinement son rôle de centralisation des préparatifs du trajet.
Ceci dit il serait réducteur de retrancher l’aspect technique à l’élaboration d’algorithmes puisque des questions comme la connexion aux différentes bases de données de contenu ou encore la gestion des abonnements et des revenus n’ont pas été abordées ici.
De la même manière, la facette relationnelle – en particulier avec les fournisseurs de contenu – de l’intégration est à dûment considérer : si l’intérêt des services de mobilité est d’intégrer un maximum de fournisseurs de contenu, l’inverse n’est pas nécessairement vrai et la mise en place de partenariats avec ces derniers pourrait s’avérer délicat. Leur enjeu étant de gagner en visibilité, l’impact d’une sélection contenu multiplateforme se révélerait défavorable dans le cas où l’algorithme de sélection viendrait mettre en avant une variété de fournisseurs trop restreinte.
La question de la connexion internet entre aussi en jeu. Il est rare de disposer de la 4G tout au long d’un trajet, ce qui pourrait occasionner des désagréments pour l’utilisateur. Pour pallier cette faiblesse les plateformes de streaming proposent généralement de télécharger du contenu afin d’en profiter hors-ligne, ce qui est envisageable dans notre scénario au risque que le téléchargement ne soit pas terminé avant le départ. Une autre éventualité est l’usage d’une IA prédictive, capable de lancer les téléchargements au moment opportun pour des trajets réguliers (la nuit pour un trajet matinal par exemple) mais cette solution resterait limitée puisqu’elle exclurait les trajets non récurrents. L’arrivée prochaine de la 5G devrait aussi permettre des débits descendants très élevés et contribuer à résorber le problème.
Il apparaît globalement clair que l’algorithme de sélection du contenu proposé est le cœur du service considéré : à la fois pertinent pour l’utilisateur et juste pour les fournisseurs.
Un nouvel usage en cours de développement
Le divertissement a déjà pleinement sa place dans certains modes de transport, notamment l’avion, ce qui incite des compagnies, telles que Transavia et XL Airways, à développer des applications permettant d’accéder à du contenu gratuit ou payant à bord. Mais au-delà de ces compagnies, des entreprises se sont spécialisées dans le divertissement lors des trajets de longue durée, en avion, en train ou en bus : Passengera, Immfly, Actia ou encore CastLab.
Ces entreprises proposent aux transporteurs de fournir du matériel et du contenu distrayant les voyageurs sur de longues durées. Le plus souvent ce matériel prend la forme d’écrans tactiles intégrés aux sièges. Films, séries, musique et informations touristiques sur la destination sont de la partie, afin de faire défiler les minutes et les kilomètres. Bien que ces entreprises ne se positionnent pas exactement sur le marché qui nous intéresse, elles montrent que le divertissement dans les transports est une source de valeur ajoutée.
Plus proche de notre sujet, les tablettes « Surf » peuvent être mentionnées. Elles visent également à fournir à la fois du matériel et du contenu mais s’orientent vers les chauffeurs VTC qui souhaitent en équiper leur véhicule. Pour aller encore plus loin on notera la mise à disposition en 2016 par Uber de l’API « User Trip Experience » qui permet aux développeurs de créer un lien direct entre leur application et Uber. Un lien qui peut permettre de réserver un véhicule à plusieurs via Messenger ou encore de lancer une playlist pour la durée du trajet comme le laisse entendre l’illustration proposée par la firme :
Si l’éventualité de l’intégration de la planification des occupations à une application de transport paraît être une opportunité viable, force est de constater que le chemin n’est pas encore régulièrement emprunté. On peut se risquer à y deviner le manque de maturité des applications orientées MaaS (Mobility as a Service) qui sont encore en phase d’intégration de services purement liés aux transports, notamment la prise en charge complète de la multimodalité et du ticketing. L’enjeu pourrait cependant grimper à l’avenir sous l’impulsion d’initiatives similaires à celles d’Uber.
Sources :
https://www.transportshaker-wavestone.com/infographie-combien-de-temps-passez-transports/