Quel voyageur n’a jamais pesté dans le RER contre la foule et les voitures bondées ? Si la population francilienne continue de croître (+9,6% entre 1999 et 2014, soit plus d’un million d’habitants en plus), les infrastructures de transport n’ont pas suivi dans la même proportion. La mise en place de nouvelles ligne est un long processus, et les projets du Grand Paris s’étalent sur plus de 10 ans. Des solutions plus court-termistes sont donc envisagées pour désaturer le trafic. A Singapour par exemple, le métro est gratuit pour les lève-tôt qui arrivent avant 7h45 au travail ! Parmi les initiatives lancées en France, la mise en place d’horaires décalés pour diminuer les “hyper-pointes” du matin et du soir : on parle alors de “démobilité”, ou encore d’”effacement du trafic” à l’image des pratiques du secteur de l’énergie. Retour sur les besoins, les expérimentations et les facteurs clés de succès.
Des voyageurs en demande
Un sondage réalisé par la SNCF en 2013 a donné le “la”. 86 % des franciliens actifs ayant un emploi (1000 personnes interrogées) se déclaraient prêts à adapter leurs horaires de travail pour éviter les heures de pointe. Un accueil chaleureux expliqué par l’importance que les voyageurs accordent à la qualité de leur quotidien : 74% jugent que leurs trajets l’impactent de façon importante. Hors près de la moitié d’entre eux (46%) arrivent entre 8 et 9h au travail, ce qui correspond à la pointe !
Un florilège d’expérimentations d’étalement des pointes
Une première expérience avait été lancée à l’université de Rennes 2 dès 2012. La très forte affluence qui était le cauchemar des voyageurs dans le métro entre 7h40 et 8h le matin en direction de l’université ne pouvait plus durer. L’opérateur de transport (Keolis) a donc travaillé avec l’université pour identifier comment fluidifier le trafic. Résultat : les premiers cours du matin ont été décalés de 15 minutes pour commencer désormais à 8h30. Ces quinze minutes ont suffi à obtenir de très bons résultats : le désengorgement a été très vite constaté (-17%) ! Et au delà de la satisfaction des voyageurs, cette optimisation a également permis des économies en ralentissant l’achat de nouvelles rames. D’autres universités se sont lancées comme Montpellier, Poitiers, ou Grenoble, avec des résultats aussi satisfaisants.
Les entreprises suivent désormais le mouvement, et la Seine Saint Denis expérimente ainsi les horaires décalés à l’initiative de la SNCF et d’une dizaines d’autres sociétés (Orange, Siemens, SFR,…). Avec le constat de départ d’un écart de remplissage des trains entre 40% en heure creuses et de 250% en hyper-pointe, il est apparu nécessaire de lancer des actions ! Par exemple, sur le campus SFR, qui recoupe 4000 personnes, l’amplitude horaire autorisée pour l’arrivé du matin est désormais de 7h à 10h, contre 8h à 9h30 auparavant. Objectif affiché : réduire de 10% le remplissage des trains pour revenir à un niveau de confort plus acceptable. Le retour d’expérience est prévu courant 2015.
Des facteurs clés de succès pour le travail en horaires décalés
Plusieurs éléments ressortent des premières expérimentations comme essentiels pour un décalage des horaires réussi.
Des décalages faibles. 15 à 30 minutes semblent suffisantes pour avoir un impact visible sur la saturation des transports, sans désorganiser trop les activités.
L’adhésion. La contribution des salariés dans la définition du projet est essentielle pour garantir que la mise en oeuvre sera au rendez-vous. Sans oublier l’implication amont des RH, IRP, etc. pour encadrer les changements.
Des initiatives géographiquement ciblées, mais avec une masse critique suffisante . Pour des effets visibles, inutile de décaler les horaires de tout un département (195 000 personnes pour Plaine Commune, en Seine St Denis). Il est nécessaire de bien identifier les zones critiques, et de concentrer ces efforts sur ces zones. A l’inverse, ne travailler que sur des petites structures sur ces zones peut être risqué, car l’adoption peut ne pas être au rendez-vous : un équilibre est donc à trouver pour assurer le succès des expérimentations ! Les entreprises ciblées en Seine Saint Denis représentent ainsi près de 20000 personnes.
D’autres pistes autour de l’organisation du travail au service de l’effacement du trafic
D’autres pistes sont évoquées pour désaturer les transports urbains en agissant sur l’organisation du travail. Le développement du télétravail pourrait notamment contribuer, dans une certaine mesure, à réduire le nombre d’utilisateurs des transports en commun. Cependant, si près de 12% des salariés font déjà l’expérience du télétravail, cela reste un fonctionnement qui n’est pas encore généralisé dans les entreprises, et qui souvent se limite à quelques jours dans la semaine ou le mois.
Les “tiers-lieux” quant à eux, sont des locaux partagés mis à disposition des employés, par exemple à mi-chemin entre leur domicile et leur lieu de travail. En plein développement, ces espaces pourraient permettre de diminuer le temps de transport et de réduire les pointes dans les lieux très saturés.
Prises indépendamment, ces mesures peuvent sembler insuffisantes. Mais combinées de manière intelligente en collaboration avec les entreprises et autres organisations desservies par les lignes saturées, elles pourront permettre d’apporter une réponse à court terme à la saturation du trafic dans des zones bien identifiées. Une démarche qui sera vivement appréciée des habitués des hyper-pointes, en attendant de nouvelles lignes… ou de nouvelles approches du transport.