Si la livraison sur le dernier kilomètre est depuis longtemps un important enjeu stratégique en termes de qualité, de délai et de coût, les progrès sur ce triptyque et les évolutions sont perpétuels. Parmi les dernières innovations, la crowd-logistics est une solution dans l’air du temps. Popularisé par le crowd-funding dans le monde entier, le principe du recours aux particuliers s’applique également à la livraison, bousculant ainsi les opérateurs (souvent historiques) du marché du colis, la foule remplaçant les prestataires. Si les initiatives collaboratives bénéficient d’une excellente image et d’un succès qui ne se dément pas, cette substitution suscite plusieurs interrogations : Comment assurer une logistique sans entreprise spécialisée ? Quel cadre légal et juridique ? Quels défis pour cette nouvelle pratique ?
Les trois piliers à l’origine de la crowd-logistics
La crowd-logistics repose sur trois piliers qui ont permis son émergence rapide.
Les terminaux mobiles et les technologies utilisées dans les applications associées (ex : géolocalisation), permettent une mise en relation simple et directe (c’est-à-dire sans intermédiaire) entre les individus. Car c’est bien de la multiplication des intermédiaires que découlent le coût et les problèmes qualité. Précurseur, le site web Le Bon Coin a permis ainsi un retour aux ventes de proximité à des prix abordables.
De nombreuses personnes souhaitent avoir la maîtrise du circuit de distribution, et ne plus se reposer sur des tiers assurant l’approvisionnement et la distribution. Cette volonté se traduit dans des exemples divers et variés : alimentation (La Ruche qui dit oui), éducation (France Université Numérique), logement (Airbnb)…
Sans le savoir, les particuliers disposent de capacités de stockage (appartement, garage, cave,…) et de transport (voiture, vélo, sac à dos, valise, …). Aujourd’hui, ces capacités d’utilisations ne sont absolument pas valorisées. Certains ont donc eu l’idée d’en tirer profit. Par exemple, Expediezentrevous propose à un individu de transporter les biens d’un autre individu sur un trajet national ou international quand Costockage organise un garde-meuble entre particuliers. Pour les participants, cela représente une source de revenus potentiels, non négligeable en cette période économique difficile.
Différents freins au développement identifiés sur cette nouvelle pratique
Si la crowd-logistics est une initiative innovante, elle fait face à plusieurs risques qui peuvent la freiner dans son développement, voire la conduire à l’échec en cas de non résolution.
Les particuliers sont prêts à transporter les biens d’une autre personne en fonction d’un arbitrage financier pour ce service, mais sont-ils prêts à se voir imposer la loi à leurs dépens ? En effet, le transporteur est responsable de son chargement. En cas de contrôle par les forces de l’ordre et de découverte de biens ou de substances prohibés, c’est lui qui rend des comptes. Le cadre juridique de cette activité est donc un élément primordial pour les candidats à la crowd-logistics.
Concernant les clients, une appréhension juridique peut également exister. En cas de dommage survenu lors de la livraison, la question de la responsabilité, notamment pour les dégâts et un éventuel préjudice, est prépondérante. Contrairement à un prestataire logistique, il est compliqué de se retourner contre un simple particulier, même si des contrats d’assurance existent d’ores et déjà.
Le développement rapide de la crowd-logistics a suscité l’apparition de services proposés par des acteurs professionnels. Ils tentent d’occuper ce créneau considéré comme une source de profits. Ainsi, Uber vient de lancer officiellement UberRUSH dans trois villes américaines : Chicago, San-Francisco et New-York. Permettant à n’importe quel commerce de ces trois villes de s’inscrire, ce service garantit aux membres la possibilité de faire livrer leurs produits par Uber (par les conducteurs de VTC, des livreurs à pieds ou à vélo). Les paquets livrés par cet intermédiaire seront autant de colis que la crowd-logistics n’aura pas dans son périmètre.
Les réponses des acteurs spécialisés
Les prestataires logistiques, directement impactés par le développement de ce concept, peuvent principalement réagir à travers deux actions.
La plus conciliante est d’intégrer la crowd-logistics au sein de la chaîne logistique de l’entreprise spécialisée. Cette démarche répond à une double problématique : s’adapter à un concept innovant tout en réduisant les coûts de livraison du dernier kilomètre (les plus importants). C’est par exemple le cas du groupe hollandais spécialisé en transport et logistique DHL qui expérimente l’application MyWays. En s’inscrivant sur cette plateforme, le particulier peut accéder aux livraisons à réaliser et se proposer pour en réaliser une qui lui convienne en échange d’une rétribution financière.
Si la crowd-logistics cherche à se passer des prestataires logistiques, au moins deux cas l’empêchent de le faire totalement. Lorsque la logistique de la livraison de l’échange est complexe (ex : colis volumineux, luxueux et nécessitant une certification ou une vérification), le flux direct de particulier à particulier n’est pas approprié. Les entités organisatrices font alors appel à un prestataire pour assurer le flux, qu’il soit direct ou passant par une plateforme collaborative. Pour exister, les services basés sur la crowd-logistics ont également besoin d’intermédiaires capables de gérer les flux d’informations et physiques. Là encore, un recours aux prestataires logistiques, entreprises expertes en ces domaines, est une nécessité.
La crowd-logistics s’impose comme un marché de niche en concurrence direct, sur certains segments, des prestataires logistiques. Ces derniers ont toutefois vu un débouché économique au bon fonctionnement de l’économie collaborative et peuvent participer à son existence. Mais de nombreuses questions demeurent. Cet état de fait va-t-il perdurer ? Les multiples initiatives participatives existantes ou à venir vont-elles survivre dans un contexte extrêmement mouvant ? Uber et Amazon seront-ils demain les concurrents des prestataires actuels ?