C’est un véritable séisme diplomatique qui a touché le Moyen-Orient en ce week-end de la pentecôte. L’Egypte, le royaume du Bahreïn, les Emirats Arabes Unis, le Yémen et l’Arabie Saoudite ont rompu leurs relations diplomatiques avec le Qatar. La petite monarchie pétrolifère a également été exclue du Conseil de Coopération du Golfe, et de la coalition miliaire arabe au Yémen : l’armée de l’air Qatarie avait envoyé 10 avions militaires pour l’Opération Tempête Décisive et un millier de soldats, deux cents véhicules blindés ainsi que trente hélicoptères pour l’Opération Restaurer l’Espoir. Mais que s’est-il passé dans cette région détenant le tiers des réserves mondiales d’or noir ?
Contexte et sanctions
Le Qatar est accusé par ses voisins de soutenir des organisations terroristes telles qu’Al-Qaïda, la Confrérie des Frères Musulmans et l’Etat Islamique. Indirectement, lui est aussi reprochée sa trop grande proximité avec l’Iran, qui est accusée par l’Arabie Saoudite, d’être le fer de lance du terrorisme.
A tort ou à raison, cette crise diplomatique menace de rompre le fragile équilibre qui règne dans la péninsule arabique, et les conséquences de cette rupture des relations sont déjà nombreuses. L’Egypte, le Bahreïn, les Emirats Arabes Unis, le Yémen et l’Arabie Saoudite ont d’ores et déjà fermé leurs espaces aériens, maritimes et terrestres au Qatar. De plus, les diplomates Qataris disposent de 48h pour faire leurs valises et quitter les différentes chancelleries des 5 pays. Enfin, les ressortissants Qataris ont quant à eux deux semaines pour rejoindre leur pays d’origine. Par ailleurs, Saoudiens, Emiratis et Bahreïniens se voient interdire par leurs gouvernements respectifs l’accès au Qatar. Pour le moment le statuquo est maintenu pour les ressortissants égyptiens : 350 000 travailleurs égyptiens résident au Qatar, ce qui en fait la plus importante population immigrée du royaume dans un pays ou 90% de la main d’œuvre est étrangère.
Impacts sur le secteur aérien
Conséquences immédiates à cela, la bourse de Doha a chuté de 11,8%, l’Arabie Saoudite a également suspendu ses exportations vers le Qatar ; Doha dépend à hauteur de 40% de Riyad sur les produits alimentaires et biens de consommations. Enfin, huit grandes compagnies aériennes ont arrêté leurs rotations entre le Qatar et les 5 autres belligérants. Les majors Emirates Airlines, Etihad Airways, Egypt’Air, Saoudia Airlines, Gulf’Air, ainsi que les low-cost FlyDubaï et Air Arabia ont suspendu leurs vols vers Doha. La compagnie nationale Qatarie, Qatar Airways a quant-elle également suspendu ses vols vers les 5 états.
Qu’implique cette suspension des vols et la fermeture des différents espaces aériens ? La principale impactée est la compagnie nationale Qatar Airways. En effet elle se voit privée d’environ 35 rotations quotidiennes (dont 14 vers Dubaï) vers les 5 pays qui l’ont mise au ban. La compagnie se retrouve avec des milliers de passagers possédant des billets mais ne pouvant embarquer vers leurs destinations. Que faire ? Actuellement Qatar Airways propose à ses clients de rembourser leurs billets où de les recaser vers des compagnies en partages de codes permettant de desservir lesdites destinations.
De plus, comment les différents ressortissants invités à quitter ou rejoindre le Qatar vont-ils pouvoir rejoindre leurs pays respectifs avec la coupure des liaisons aériennes ?
Cependant le problème ne s’arrête pas à la dizaine de destinations réparties à travers l’Egypte, Les Emirats Arabes Unis, le Yémen, l’Arabie Saoudite et le Bahreïn, ce sont toutes les opérations de Qatar Airways qui sont mises en péril. En effet, la position géographique du Qatar impose à la compagnie nationale Qatarie, de survoler de manière systématique l’espace aérien Saoudien et Égyptien pour desservir l’Europe, l’Afrique et l’Amérique. Afin de continuer à desservir ces zones, Qatar Airways va devoir coûteusement re-router ses vols par l’Iran et l’Irak. Or, l’espace aérien du Bahreïn lui est également interdit et un sérieux problème va se poser étant donné que l’espace aérien Qatari est enclavé entre l’espace aérien du Bahreïn et l’espace aérien Emirati.
Toutefois, un recours légal évite à Qatar Airways de clouer sa flotte au sol. Le Bahreïn et les Emirats Arabes Unis sont signataires de l’Accord International de Transit Aérien (IASTA), ainsi ils peuvent seulement refuser l’atterrissage d’un avion Qatari mais pas son transit via leur espace aérien, étant donné que le Qatar est cosignataire de cet accord. Le Bahreïn a d’ores et déjà prévenu que l’accès à leur espace aérien serait certes maintenu mais restreint, ne proposant aux avions de Qatar Airways qu’une seule voie d’accès pour décoller ou atterrir à Doha. Qatar Airways évite ainsi le maintien au sol de ses avions, mais la compagnie devra faire face à un embouteillage aérien pour ses appareils. En outre, l’Arabie Saoudite, n’étant pas signataire du IASTA, le Royaume est en droit d’interdire complètement le survol de son espace par un avion Qatari. Le scénario du coûteux re-routage des vols par l’Iran et l’Irak est donc une nécessité.
Devenu un champion de l’aérien en seulement 24 ans d’existence, Qatar Airways avait enregistré des bénéfices record sur l’exercice 2016. A la clôture de son exercice fiscal, la compagnie nationale Qatarie avait enregistré un chiffre d’affaires de 8,8 milliards d’euros (+4,3% vs 2015), un bénéfice opérationnel de 745 millions d’euros et un bénéfice net -record- de 397 millions d’euros (+328% vs 2015). Coupée ainsi dans son élan, Qatar Airways risque d’afficher des chiffres plus en bernes pour l’exercice 2017.
Cette crise diplomatique intervient aussi juste avant un temps fort du tourisme au Qatar. En effet, les Saoudiens partent en nombre au Qatar pour les vacances de l’Aïd el-Fitr, un mois après le ramadan. De surcroît, le Qatar a été sélectionné par la FIFA pour organiser le mondial de football en 2022. L’organisation de cet événement historique risque d’être mis à mal par des retards dans le calendrier de livraisons, si les tensions entre le Qatar et ses voisins perdurent.
Une poudrière prête à exploser
Bien que les grandes puissances comme les Etats-Unis exhortent les pays du Golfe à rester unis, il y a un risque d’une escalade diplomatique à l’encontre du Qatar. En effet, de nombreux pays du monde Arabe pourraient suivre l’Arabie Saoudite, dans ses sanctions envers le Royaume Qatari.
Cette situation a pour but d’étouffer économiquement le Qatar afin de le faire rentrer dans le rang. Actuellement le pays a du mal à respirer mais peut encore être approvisionné par voies maritimes et aériennes. L’étape suivante à craindre est un blocus maritime afin d’empêcher le Qatar de livrer son précieux gaz naturel, moteur de son économie. A noter qu’une très grande partie des pays occidentaux, Etats-Unis en tête, dépendent des livraisons de gaz du Qatar. Si Saoudiens, Emirati, Bahreïniens, Egyptiens, et Yéménites en arrivent à de telles extrémités, il est fort à parier que la situation exploserait en un conflit armé qui embraserait tout le Moyen-Orient.