Si posséder un bateau est le rêve de nombreux plaisanciers, une fois l’excitation des premiers moments passée, les 4 ou 5 régates faites par les enfants sur le bateau de Papa, le nombre de jours de sorties par an est en chute libre (10 jours par an en moyenne). Ajoutons à cela les charges d’escales et de port en constante augmentation, des anneaux toujours plus rares et onéreux (22 ans d’attente à Saint Martin de Ré pour obtenir une place au port !), il paraît logique que les propriétaires cherchent à réduire la facture globale de leur bateau. Quelles solutions existent ? Peut-on faire ce que l’on veut ?
L’économie collaborative maritime à travers 3 approches
Le concept est simple. D’un côté des propriétaires de bateaux (à voiles ou à moteur) qui souhaitent naviguer accompagnés ou rentabiliser leur bateau en le louant. De l’autre, des équipiers ou des touristes qui souhaitent naviguer à moindre frais. Et au milieu des plateformes web de mise en relation.
Avec 4 millions de plaisanciers en France en 2012 dont seulement 37% sont propriétaires, et avec 25 000 adeptes supplémentaires chaque année, le marché est conséquent.
Au cours de ces 5 dernières années, 3 approches sont apparues sur la toile :
Pour commencer, les puristes de la navigation, propriétaires de bateaux, qui cherchent à partager leur passion avec d’autres passionnés n’ayant pas la chance d’en posséder. Les équipiers ne sont pas considérés comme locataires du bateau, car ils participent activement à la vie à bord (manœuvres, préparation des repas, nettoyage du bateau…), tout comme le feraient des amis accueillis sur le pont. La contrepartie financière est soit nulle (participation uniquement à la caisse de bord pour les frais de nourriture, d’essence, de port), soit limitée aux frais d’entretien du navire (~25€ par jour).
Ensuite, l’alternative pour les propriétaires frileux à louer leur bateau à des inconnus est la location de bateau avec skipper, le skipper étant le propriétaire. La cible est plus démocratique puisqu’elle vise aussi bien les groupes d’amis que les individuels souhaitant faire une sortie en mer ou en rivière avec une posture plus « touristes passifs » des équipiers.
Enfin, la location pure entre particuliers, pour naviguer ou pour rester au port. Le concept est identique à l’autopartage C2C (Drivy, Ouicar…). On peut partir naviguer seul, ou louer le bateau à quai et s’en servir comme un hébergement atypique. Les sites Airbnb et Abritel se positionnent d’ailleurs à la marge sur ce deuxième créneau en proposant ce type de « logement » dans leurs filtres de recherche.
Pas de cap juridique à ce jour
Ces 2 dernières approches, plus lucratives, risquent vite de faire intervenir les autorités maritimes pour instruire la question de la concurrence déloyale envers les sociétés de location de bateaux avec ou sans skipper. Le ton monte chez ces professionnels dont l’activité est réglementée, taxée et nécessite des brevets de navigation spécifiques. La question des assurances se pose également.
Concernant la co-navigation pure (avec skipper donc), on se retrouve avec une problématique similaire à celle que nous vous exposions dans nos articles sur le co-avionnage, limité par l’intervention de la DGAC, ou encore sur les VTC Uber Pop dont la loi Thévenou a interdit cette activité en France. Les principales craintes des autorités sont de voir arriver sur le marché une activité commerciale de transport déguisée. Si le fait de partager les frais de transport avec ses passagers est autorisé par la réglementation, il est interdit de tirer profit de cette activité. Craintes justifiées car certains site proposent déjà aux clients de déposer leurs demandes de transport d’un point A à un point B, ou aux propriétaires de proposer des trajets à des tarifs nettement supérieurs aux frais réels.
Pour la location pure, on est sur une activité directement concurrente des loueurs de bateaux professionnels. Ceux-ci dénoncent une concurrence déloyale.
À la différence du monde de l’aviation ou des taxis, les syndicats du monde de la plaisance ne sont pas aussi structurés et actifs, le lobbying peine donc pour le moment à faire bouger les choses.
Une première initiative a été lancée par l’association Legisplaisance en partenariat avec la Faculté de droit et des Sciences Politiques de Nantes. Elle organise la première Journée du Droit de la Plaisance et du Nautisme en juin 2016.
Un marché qui se cherche et n’a pas encore atteint sa vitesse de croisière
Pour les offres non pécuniaires de passionnés, deux sites (vogavecmoi.com et co-navigation.fr) se sont lancés sur ce créneau depuis plusieurs années. Ils sont soit gratuits soit fonctionnent par abonnement (12€/par mois).
Plus récemment, d’autres acteurs plus généralistes se sont lancés en proposant les 3 modes de location entre particuliers : location, co-navigation et bateau-hôtel. Les principaux sont boaterfly.com, samboat.fr, sailsharing.com ou cobaturage.fr. Le business model est très similaire aux bien connus Blablacar ou Airbnb : une commission d’environ 15% est prélevée sur chaque transaction.
Pour le moment, aucun des acteurs du marché ne peut revendiquer la place de leader. Il faudra d’abord capter une masse critique d’utilisateurs pour étouffer les concurrents et alors s’imposer avec un quasi-monopole, comme l’ont fait Blablacar ou Airbnb. L’avenir ira donc sans doute vers une concentration du nombre d’acteurs généralistes. Les sites de puristes tels vogavecmoi.com devraient réussir à se démarquer grâce à un positionnement de niche. Reste que l’État doit positionner rapidement un cadre réglementaire pour limiter les dérives. Quelques première pistes sont abordées dans le Rapport Terrasse dont nous vous parlions il y a quelques jours.
Retrouvez tous les articles du dossier « mobilités collaboratives »:
- Les mobilités collaboratives soufflent leurs 10 bougies : retour sur une nouvelle tendance de fond de l’économie
- Le covoiturage est-il durable ?
- De Scooterino à Mapool : se faufiler en ville sans le permis moto !
- Co-navigation : un concept prometteur qui fait des vagues
- Mayday : coavionnage en perte de vitesse !