La croissance phénoménale du transport aérien amène d’importants défis pour pouvoir accueillir le nombre de passagers dans les années à venir. Sans nouvelles capacités aéroportuaires, sans nouveaux systèmes performants de contrôle aérien le secteur sera incapable d’absorber cette croissance.
L’enjeu économique est de taille puisque le secteur représente aujourd’hui 3,5% du PIB mondial et 62,7 millions d’emplois directs et indirects. Selon l’économiste François Bourguignon, dans un article publié dans la revue PSE Working Papers (2016), « le transport aérien est à la fois un catalyseur et un indicateur du développement économique ». C’est pourquoi il apparaît plus que nécessaire, pour la croissance économique mondiale, de relever ces défis.
La croissance dynamique du trafic aérien
D’après l’Association Internationale du Transport Aérien (IATA), le nombre de passagers ayant pris l’avion en 2003 s’élevait à 1,5 milliard. Près de quinze ans plus tard, ce ne sont pas moins de 4,3 milliards de passagers qui ont voyagé en 2018 soit bien plus que le double.
D’après les prévisions de IATA, le nombre de passagers devrait encore plus que doubler d’ici 2035 et atteindre les 8 milliards, puis 16 milliards à l’horizon 2050.
Aussi, le nombre de voyageurs devrait dépasser la population mondiale, elle-même attendue à près de 10 milliards.
Cet essor est principalement porté par la croissance de l’économie mondiale (estimée à 3% par an d’ici 2035 selon le FMI), elle-même portée par les pays émergents tels que la Chine ou l’Inde. D’autres phénomènes expliquent également la hausse du trafic aérien, comme la croissance de la démographie ou encore la forte libéralisation des marchés aériens permettant la création de nouvelles compagnies aériennes et favorisant l’accroissement de la demande.
Cette hausse de la demande amène un certain nombre de questions : les compagnies aériennes, les aéroports ou encore le contrôle aérien, sont-ils en mesure d’absorber cette demande ? Quelles sont les mesures envisagées à ce stade pour faire face à la croissance à venir ?
La « crise des infrastructures »
Face à cette croissance phénoménale du nombre de passagers, ce n’est pas le nombre d’avions qui fera défaut puisque Boeing et Airbus prévoient une hausse de leur cadence de production, mais bien la capacité aéroportuaire[1] et le contrôle aérien.
Eurocontrol, l’organisme en charge de la sécurité de la navigation aérienne européenne, dans son rapport The Challenge of the Growth (2018), estime à 1,5 million le nombre de vols qui ne pourront être traités à horizon 2040, faute de capacités aéroportuaires. Cela représente 160 millions de passagers perdus, soit 8% de la demande qui ne pourra être satisfaite. Et ce, malgré les investissements et les chantiers en cours et à venir dans les principaux aéroports européens qui devraient se traduire par une hausse de 28% des capacités (rapport « The Challenge of the Growth 2018 », Eurocontrol). D’importants projets sont déjà connus, comme la construction à venir d’une troisième piste à l’aéroport de Londres Heathrow (premier aéroport européen en matière de trafic) qui devrait permettre d’accueillir 740 000 vols par an (260 000 de plus qu’aujourd’hui). Du côté français, le Groupe ADP prévoit la construction d’un 4e terminal (la première partie est prévue pour 2024), à l’aéroport de Roissy CDG, dont la capacité d’accueil est estimée entre 30 et 40 millions de passagers. Or malgré ces investissements, Eurocontrol estime que les aéroports français ne seront tout de même pas en mesure d’accueillir entre 50 000 et 200 000 passagers en 2040.
Alexandre de Juniac, directeur général de l’IATA, qualifie la sous-capacité aéroportuaire et du contrôle aérien de « crise des infrastructures« .
Cette « crise » est d’autant plus justifiée que dans les principaux pays développés la construction et l’agrandissement d’aéroports, de terminaux, de nouvelles pistes sont rendus difficiles par le manque d’espace, ou encore l’opposition des riverains ou des associations environnementales. Prenons l’exemple du projet de l’aéroport Notre Dame des Landes à Nantes dont la construction a été compromise du fait de pressions exercées par des militants écologistes. Côté Manche, la 3e piste de l’aéroport de Londres Heathrow a suscité également des désaccords politiques ; le ministre du commerce, Greg Hands, a démissionné et le ministre des Affaires étrangères Boris Johnson a, lui, promis de « s’allonger devant les bulldozers ».
Or, quelles sont les conséquences de la saturation des principaux aéroports et du contrôle aérien européens pour les compagnies aériennes et leurs passagers ?
Tout d’abord, cette saturation se traduit par des retards répétitifs et plus importants. En effet, le retard moyen au cours de la période de pointe de l’été 2018 est estimé à 12 minutes ; il pourrait passer à 20 minutes à l’horizon 2040. Par ailleurs, le nombre de vols retardés de 1 à 2 heures sera multiplié par 7 et le nombre de passagers touchés par ces retards passera de 50 000 par jour cette année à 470 000 par jour en 2040.
Ces retards vont davantage dégrader la satisfaction des clients et pourraient, à l’avenir, freiner le développement des compagnies aériennes. Or, toujours selon Alexandre de Juniac, « Si le système aérien veut s’accommoder d’un doublement du trafic à l’horizon 2035, il faut que les décisions soient prises maintenant« .
Quelles sont donc les solutions envisagées à ce stade pour faire face à cette « crise des infrastructures » ? Quelles seront les grandes tendances à venir en termes de solutions ?
Les réponses apportées pour soutenir la croissance dans ce contexte
La modernisation des infrastructures et des systèmes existants, en se basant sur l’apport des nouvelles technologies, est une priorité pour répondre à ce défi. C’est dans cette logique qu’a été élaboré le programme SESAR (le volet technologique de la démarche européenne du Ciel Unique) au niveau européen, qui coordonne les activités de recherches et développement dans le domaine du contrôle aérien. Le but est de fournir un catalogue évolutif d’outils et procédures visant à moderniser et harmoniser les systèmes actuels afin de répondre aux besoins futurs en termes de capacité et de sécurité.
Plusieurs grands principes découlent du programme SESAR parmi lesquels figurent :
- La mise en place d’opérations basées sur la trajectoire et dont l’objectif est d’accroître la prévisibilité et la précision des opérations
- Une gestion des opérations basée sur des informations en temps réel (évolution du trafic, disponibilité des infrastructures et des ressources, conditions météorologiques)
- Le partage de l’information en temps réel entre toutes les parties prenantes de l’aéroport (compagnies aériennes, exploitant aéroportuaire, network manager, assistants en escale …)
- L’automatisation des outils du contrôle aérien et des pilotes afin qu’ils puissent se concentrer sur les tâches à plus forte valeur ajoutée mais également traiter un plus grand nombre de vols (par exemple avec la mise en place de tours de contrôle à distance s’appuyant sur des dispositifs de réalité virtuelle et augmentée)
- Une meilleure considération de la question environnementale (optimisation du temps de roulage au sol, procédures de décollage et d’atterrissage plus respectueuses de l’environnement …)
A travers la mise en place de ces principes, c’est toute l’organisation du travail et la gestion du trafic aérien qui sont impactés. En effet, les procédures sol et vol seront intégrées, les systèmes seront connectés et interopérables au niveau européen. Enfin, les acteurs travailleront de manière collaborative au sein des aéroports mais également avec tous les acteurs de la chaîne, là-aussi à l’échelle européenne.
Tout cela offrira davantage de précisions dans la gestion des opérations mais également de prévisibilité et de fluidité permettant ainsi de disposer d’une organisation plus robuste.
Du côté des Etats-Unis, l’initiative se retrouve également avec la mise en place du programme NextGen (l’équivalent du programme SESAR). L’objectif est, là-aussi, de proposer des outils s’appuyant sur les nouvelles technologies et visant à améliorer l’efficacité, la prédictibilité et la sécurité des opérations aériennes.
Ainsi les nouvelles technologies offrent des perspectives intéressantes de réponses à ces défis. Tout l’enjeu réside dans la capacité des aéroports à intégrer ces technologies dans leur écosystème actuel aussi bien sur le plan technique, qu’organisationnel et humain.
[1] La capacité aéroportuaire = espace aérien terminal, système de piste(s), voies de circulation, aire de stationnement des avions, aérogare (traitement des passagers) et même accès à l’aéroport (voies d’accès et parkings). Elle définit le nombre de demandes pouvant être traitées dans un période de temps avec une infrastructure donnée, en respectant la réglementation et compte tenu d’un niveau de qualité de service (Cf. source)