La dernière innovation billettique a de quoi surprendre : la marque Adidas et la société des transports publics berlinois ont mis en vente, début 2018, 500 paires de baskets intégrant dans la languette une carte de transport annuelle. Idée certes ingénieuse mais difficilement envisageable à Paris où la validation sur borne est obligatoire à chaque passage et obligerait à s’entraîner au saut en hauteur !
Néanmoins, d’autres solutions vont bientôt voir le jour puisque l’arrêt du ticket magnétique en Ile-de-France a été annoncé par Valérie Pécresse pour 2021. Quelles sont les solutions de remplacement prévues ? Quelles améliorations de l’expérience des voyageurs et de leur parcours ? Ile-de-France Mobilités (IdFM, ex-STIF) y répond au travers de son ambitieux Programme de Modernisation de la Billettique.
NB : La billettique recouvre les métiers qui permettent d’assurer les fonctions de vente, de validation et de contrôle des titres de transport.
Revenons tout d’abord sur les particularités de la région Ile-de-France et son organisation.
Contexte du transport en IDF
L’organisation des acteurs de la billettique en Ile-de-France est tripartite :
- Ile-de-France Mobilités (IdFM), présidée par Valérie Pécresse, est l’autorité organisatrice des transports et des mobilités en Ile-de-France. Par délégation de la Région, sa mission est d’imaginer, organiser et financer l’ensemble des transports d’Île-de-France.
- Les transporteurs RATP, SNCF, et les 70 sociétés de bus associées au sein d’Optile sont en charge de l’exploitation des réseaux et répondent à des objectifs fixés par IdFM via des contrats bilatéraux.
- Le GIE Comutitres, piloté par les transporteurs, assure la gestion opérationnelle du Passe Navigo depuis sa création en 2000.
Le réseau de transport en commun d’Ile-de-France est l’un des plus anciens et des plus denses au monde. 100% des Parisiens résident à moins d’un kilomètre d’une station de transport ferré. Une Enquête Globale Transport illustre bien l’importance du « mass-transit » : en 2010, 8,3 millions de déplacements sont effectués chaque jour en Ile-de-France, 4,3 millions de Franciliens possèdent un passe Navigo, tout cela soutenu par un budget annuel de 10 milliards d’euros. Et la fréquentation du réseau est en constante hausse, +10% depuis 2010 selon le rapport 2016 d’IdFM. Cela s’explique notamment par l’urbanisation croissante du Grand Paris, accentuée récemment par la mise en place des abonnements Navigo à tarif unique.
De ce fait, la décongestion du réseau devient le cheval de bataille de la Région. La Société du Grand Paris, avec son projet du Grand Paris Express va permettre de fluidifier le transport de millions de voyageurs, notamment par l’automatisation des lignes de métro concernées.
Au-delà du réaménagement du réseau nécessaire pour répondre à la densification de la métropole, d’autres solutions peuvent améliorer l’expérience client dans le transport, notamment dans la billettique. Aujourd’hui, le voyageur se lasse de faire la queue à un distributeur pour acheter un titre de transport ou recharger un abonnement Navigo. Perte de temps, difficulté à faire le choix du titre, autant d’irritants qui viennent entraver son expérience sur le réseau.
Conscient de ces contraintes, IdFM s’est lancé dans des projets de dématérialisation de supports de titres d’une part, et d’adaptation de sa politique tarifaire d’autre part. Afin de proposer des solutions robustes et adaptées à la métropole de Paris, l’Autorité des transports bénéfice de nombreux retours d’expérience.
Le retour d’expérience des autres villes
Première étape avant la dématérialisation complète du support de titres : la massification des cartes sans contact pouvant contenir plusieurs titres. Nous connaissons déjà à Paris les cartes sans contact personnalisées avec un abonnement Navigo. Mais, il existe dans d’autres villes des cartes sans contact anonymes, qui ne nécessitent pas de création de compte personnel. Elles sont distribuées en guichet ou sur un automate, comme à Bruxelles ou Istanbul, où deux variantes sont proposées : la carte rechargeable ou le billet sans contact non rechargeable.
Vient ensuite la seconde étape où le support de titres est complètement supprimé. Par exemple, le titre peut être dématérialisé dans une application dédiée sur smartphone, sous condition d’avoir créé un compte personnel au préalable. Autre possibilité, la carte bancaire peut elle-même faire office de titre de transport : c’est le concept d’Open Payment. Le téléphone ou la carte bancaire communiquent directement avec le valideur, de la même façon qu’un passe Navigo, grâce à la technologie NFC (Near Field Contact). Londres reste le meilleur exemple du succès de la dématérialisation des titres avec son Oyster Card, largement répandue : 15 millions de transactions par jour et 500 000 cartes délivrées chaque mois. Lancé dans la même dynamique, l’Open Payment à Londres représente déjà 10% des validations en 2014 avec 70 millions de transactions bancaires enregistrées, malgré les craintes en termes de sécurité que les voyageurs pourraient avoir. En France, c’est la ville de Dijon qui est la première ville française (hors expérimentation) à avoir lancé en mars 2018 l’Open Payment dans ses transports en commun.
Qu’en est-il du choix de notre Région Ile-de-France ? Quels seront les nouveaux services proposés et à quelles échéances ?
La trajectoire de service billettique proposée par IdFM
Ile-de-France Mobilités a lancé en 2016 son Programme de Modernisation de la Billettique, afin de poser les premiers jalons de sa trajectoire de nouveaux services. Concrètement, ce Programme vise à supprimer le ticket magnétique pour aller vers une dématérialisation des supports. Ceci grâce aux nouvelles technologies digitales, plus fiables et permettant des structures tarifaires plus flexibles, adaptées à chaque profil de voyageur.
Ce Programme implique tous les acteurs du transport public en Ile-de-France (IdFM, RATP, SNCF et Optile, le GIE Comutitres). Ensemble, ils vont définir, co-concevoir et mettre en œuvre une solution commune à tous les transporteurs afin de faciliter l’arrivée potentielle de nouveaux acteurs au moment de l’ouverture à la concurrence (2024 pour les bus, puis 2029 pour les tramways, et enfin 2039 pour les métros et RER).
L’application de ce Programme est très attendue par les franciliens, et devient d’autant plus prioritaire que Paris accueillera en 2024 les Jeux Olympiques et doit être prêt à gérer un trafic exceptionnel.
Voici un résumé du calendrier annoncé par IdFM :
- Lancement de l’expérimentation des titres de transports dématérialisés sur le smartphone en automne 2018. Présentée lors du salon VivaTech du 25 mai dernier par Valérie Pécresse, Guillaume Pépy (SNCF) et Hiba Farès (RATP), l’expérimentation concernera certains voyageurs « testeurs » qui pourront acheter via l’application NavigoLab leur abonnement Navigo. Condition : être en possession d’un smartphone équipé de la technologie NFC sous Androïd. La généralisation de la solution est prévue pour l’été 2019. Cette solution apporte un gain de temps évident puisque l’achat se fait à distance, mais nécessite au préalable un téléchargement de l’application et le choix parmi plusieurs titres.
- Mise en service du Navigo Easy en avril 2019 afin d’accompagner progressivement l’arrêt du magnétique. Comme un Navigo, cette nouvelle carte sans contact, au prix de deux euros, est rechargeable d’un ou plusieurs titres dématérialisés (Ticket T+, carnet de tickets, Roissybus, Orlybus, etc…), décomptés à chaque passage.
- Un service d’acceptation de la carte bancaire sera proposé sur les lignes aéroportuaires en 2019. Ce sont les prémices de l’Open Payment, dont la généralisation sur le réseau est un projet plus complexe qui reste à positionner dans le calendrier.
En ce qui concerne les adaptations tarifaires, à l’image du Pay as you go londonien, IdFM proposera, dès octobre 2019, un service de post-paiement, appelé le « Navigo Liberté + ». Les souscripteurs de ce service sur le Passe Navigo pourront payer en une seule fois, par prélèvement bancaire, tous leurs trajets du mois écoulé. Ce service, qui s’adresse plutôt aux voyageurs occasionnels, permet de bénéficier d’une facturation au plus juste, et ne nécessite plus d’aller acheter des tickets qui risquent de ne pas être utilisés. C’est le Passe Navigo qui comptabilise les trajets effectifs. Seul bémol, le client perd la visibilité sur ses dépenses au fil de l’eau.
Quel chemin reste-t-il à parcourir à IdFM ?
La trajectoire de services proposée par IdFM n’est qu’une prémisse du plan de transformation qui va s’imposer aux transporteurs dans les années à venir. Il faudra penser les transports au global, les concevoir comme une seule expérience de voyage de bout en bout qui intégrera la multiplicité des combinaisons de moyens. C’est l’idée derrière le Maas (Mobility as a service) déjà en test à Helsinki, avec le projet « Vision 2025 » de l’autorité des transports de la ville. Elle souhaite créer des « opérateurs de mobilité » dont le rôle serait de centraliser l’ensemble des services de transport. Une vision sur laquelle nos acteurs du transport francilien pourraient déjà être en train de plancher.
Autre piste de travail : faire de la carte Navigo un « Smart Navigo » ++ qui pourrait être utilisée plus largement que sur le réseau bus, tram, métro, rer, à l’instar de la carte de transport japonaise. Cette carte prépayée Suica permet le paiement dans de nombreux commerces, restaurants et distributeurs automatiques. C’est une véritable institution puisque 65% des japonais en possède une !