Suppression des Autolib’, changement de concessionnaire des Velib’, augmentation des vélos en libre-service et apparition des trottinettes électriques dans Paris, l’année 2018 sera scrutée avec attention pour relever le pari de la mobilité douce. A l’aune du dernier trimestre d’une année riche en rebondissements pour la politique parisienne des transports, quel bilan tirer des évolutions récentes ?
La myriade de nouvelles offres dessine-t-elle les contours de la future offre de transport multimodale parisienne ? Au-delà, quels défis attendent les principaux opérateurs et les acteurs publics pour faire face aux enjeux des nouvelles formes de mobilité douce ?
Déroute du Vélib’ et multiplication de l’offre de vélos en libre-service, où en est-on ?
Avec un changement de concessionnaire pour les Vélib’, l’année 2018 apporte de nouveaux défis pour la mobilité à deux roues. Les difficultés de lancement des nouveaux Vélib’ par l’opérateur Smovengo ne cessent de s’accumuler, rendant la tenue des délais impossible. L’intégralité des 1 400 stations et des 20 000 vélos ne devraient pas être opérationnels avant le début de l’année prochaine, soit en janvier 2019, pour un objectif devant initialement être atteint le 31 mars 2018 [1]. A ce jour, environ 820 stations et 1000 vélos sont disponibles. A ces retards s’ajoute l’incertitude de la poursuite du contrat accordé à l’entreprise pour assurer le service Vélib’, le syndicat mixte Autolib’ et Vélib’ Métropole (SAVM) devant prendre leur décision le 21 septembre [2].
Les déboires du repreneur Montpelliérain ont cependant permis aux start-ups et petites entreprises déjà présentes de s’implanter davantage sur le marché parisien des vélos en free-floating et de diversifier leurs offres. Quatre opérateurs proposent désormais des vélos en free-floating, c’est-à-dire sans borne de stationnement, grâces à des applications pour smartphones. Ces dernières géocalisent les vélos et permettent de les louer en scannant un code barre qui déverrouille l’antivol. En moyenne, la demi-heure d’utilisation coûte 50 centimes d’euros. L’usager dépose ensuite le vélo où il le souhaite, sans l’attacher et sans rechercher d’emplacement dédié.
Si l’on constate aujourd’hui une augmentation de l’offre de vélos en libre-service et d’opérateurs s’insérant sur le marché parisien, le premier à avoir l’avoir intégré en est cependant rapidement sorti. En effet, le franco-hongkongais GoBee.bike, proposant des vélos en free-floating dès novembre 2017, a cessé ses activités début 2018, invoquant de trop nombreuses dégradations et vols [3].
Parmi les opérateurs principaux, la start-up singapourienne Obike, arrivée à Paris en novembre 2017, propose environ 2 000 vélos en libre-service dans la capitale [4]. Sur le même modèle de fonctionnement, Ofo, entreprise chinoise, arrivée sur le marché parisien en décembre 2017, propose environ 2 500 cycles ; l’entreprise déclarant même avoir réalisé environ 500 000 trajets dans la capitale et en proche banlieue depuis son lancement [5]. Si le marché parisien semble stable pour l’opérateur chinois, ce dernier se retire toutefois progressivement de nombreuses villes européennes [6].
Deux nouveaux arrivants lui ont succédé, proposant une offre remaniée. L’entreprise chinoise Mobike, qui a introduit 3 500 vélos à Paris, propose des formules d’abonnement proche du Vélib’ et communique sur la robustesse de ses modèles, intégrant des GPS permettant de les localiser [7]. Elle travaille de plus sur des modèles de vélos électriques, en partenariat avec un designer néerlandais, afin de proposer un vélo durable conçu pour la ville [8] et compterait désormais 4 500 vélocipèdes dans Paris [9].
Le dernier à être entré en lice en mai 2018 s’appelle Donkey Republic. Il s’agit d’une entreprise danoise fondée en 2014, qui a fait le choix de déployer 250 vélos à Paris. Elle compte profiter des difficultés rencontrées par Smovengo pour conquérir des utilisateurs et se maintenir sur le marché [10]. En imposant des hub -sous la forme d’arceaux, pour attacher et déposer les vélos, elle se détache toutefois de ses concurrents en créant une forme de semi free-floating et répond ainsi aux difficultés liées aux vols [11]. L’évolution du free-floating vers le semi free-floating séduit donc de nouveaux opérateurs
Si le nombre d’acteurs ne cesse de croître, leurs repositionnements successifs et leurs désengagements dans certaines villes traduisent la nécessité d’améliorer leurs offres et de repenser le développement de nouveaux modèles afin de répondre aux attentes des usagers et de faire face aux risques de vols. Le marché est ainsi en plein essor mais nécessite des ajustements.
Oribiky, entreprise française, a annoncé le déploiement de 400 vélos à assistance électriques pour le 1er octobre 2018, faisant le choix de créer des emplacements dédiés pour sa flotte, en accord avec la mairie de Paris [12]. Les utilisateurs seront ainsi dans l’obligation de déposer les vélos sur des emplacements identifiés. La mairie a d’ailleurs annoncé réfléchir à la création d’espaces de stationnement pour les vélos aujourd’hui en free-floating [13].
Le semi free-floating semble donc s’imposer progressivement et remplacer le stationnement sauvage, sujet à controverses. Les aires de stationnement pour les vélos de ces opérateurs pourraient ainsi devenir une obligation. La règlementation sur les espaces de stationnement et les règles d’occupation du domaine public détermineront en partie les évolutions des offres de mobilité douce.
L’apparition de ces vélos en libre-service permet de limiter la rupture entre les différents modes de transport utilisés pour un même trajet, s’inscrivant ainsi dans un système de transport multimodal, autour duquel s’articule les réflexions sur l’offre de transport de la ville de demain. Ainsi, Ofo a signé à la rentrée un partenariat avec la RATP pour mettre des vélos à disposition des utilisateurs près des tramways [14]. Les opérateurs historiques sont conscients des opportunités que peuvent créer la cohabitation de différents types de transport, tant pour les usagers que pour eux-mêmes. Selon Roland Berger, les changements de comportement d’achat et la connectivité avec les autres modes de transport peuvent faire espérer une croissance plus forte du secteur du free-floating et de l’autopartage [15].
Ces offres pourraient donc rendre le Vélib’ moins attractif, déjà fragilisé par les retards dans le renouvellement de la flotte, tant leur utilisation semble aisée, sans contrainte et intégrée dans le quotidien des usagers. Cependant, le marché évolue extrêmement vite et les opérateurs doivent se renouveler rapidement pour s’y installer de façon pérenne.
La trottinette électrique, nouvel acteur de la mobilité douce ?
Jeudi 6 septembre, le troisième service de trottinettes électriques baptisées Bolt s’est lancé à Paris, après les opérateurs Lime et Bird, arrivés respectivement en juin et en août 2018.
C’est via l’application de la société estonienne Txfy, qui permet de réserver des VTC, que s’effectue la location de ses trottinettes Bolt. Le dirigeant de Taxify, qui a du changer son nom en Txfy en France, Markus Villig, a annoncé vouloir faire de la plateforme une plateforme de mobilité multimodale, adaptée à tout type de distance et prenant en compte les besoins spécifiques des clients [16].
Bird et Lime sont les deux entreprises américaines pionnières dans le secteur des trottinettes électriques. Lime opère déjà à Berlin, Frankfurt et Zurich et souhaite se lancer dans 26 autres villes européennes. La vitesse maximale que leurs trottinettes peuvent atteindre est de 24 km/h pour une autonomie de 50 km. La start-up affirme avoir franchi le cap des 100 000 courses dans Paris, pour plus de 240 000 km parcourus. Chaque course programmée coûte 1 euro, auquel s’ajoutent 15 centimes par minute d’utilisation [17].
Bird, concurrent direct de Lime, pratique les mêmes tarifs. S’il se positionne sur le même créneau que Lime en termes d’offres, seules quelques dizaines de trottinettes ont pour l’instant été déployées dans Paris intra-muros. Txfy propose les mêmes tarifs que ses concurrents directs sur Paris, sa spécificité résidant dans une application pour smartphone qui regroupe deux types de services de transport, le VTC et la trottinette électrique [18].
La multiplication de trottinettes pouvant atteindre plus de 20 km/h fait toutefois surgir de nombreuses questions quant au partage de l’espace public et aux règles qui s’appliquent à ces nouveaux usagers. Si la réglementation actuelle prévoit qu’en dessous de 25 km/h leurs usagers peuvent utiliser les pistes cyclables, l’encombrement potentiel et la cohabitation avec les vélos et piétons nécessiteront un suivi attentif. Christophe Najdovski, adjoint à la maire de Paris en charge des transports et de l’espace public, plaide pour une réglementation nationale définissant différentes catégories pour ces véhicules et les règles applicables pour chacune d’entre elles [19].
Si ces nouvelles offres de mobilité douce en sont encore à leurs prémices, les opportunités de déploiement sont bien réelles et évolueront rapidement en fonction du cadre juridique mis en place. Ces nouvelles formes de mobilité font leur apparition en même temps que l’intérêt accru des opérateurs de transports pour des plateformes de mobilité multimodale, prenant en compte de nouveaux moyens de déplacement en fonction des distances. Uber a ainsi participé à la dernière levée de fonds de la start-up Lime et a fait part de son souhait d’ajouter Lime dans son application [20]. L’application de transport Citymapper, quant à elle, propose déjà aux utilisateurs les vélos des opérateurs Vélib’, Ofo, Mobike, Obike et les trottinettes Lime pour effectuer leurs trajets, en intégralité ou en partie. Tous les modes de transport présents dans Paris, qu’ils soient publics ou privés, ont désormais vocation à être proposés par une même application.
Suppression d’Autolib’ et nouveaux usages raisonnés de la voiture
Si la voiture ne fait pas partie des modes de transport constitutifs de la mobilité douce, les nouveaux usages raisonnés des véhicules s’inscrivent toutefois dans les réflexions portant sur les pratiques de mobilité ayant un impact limité sur l’environnement et la santé humaine.
La suppression des Autolib’ a ainsi permis aux opérateurs déjà présents sur le marché de gagner en visibilité et voit apparaître de nouvelles offres.
Parmi les acteurs déjà présents, Ubeeqo, Communauto et Zipcar occupent le marché parisien. S’ils étaient jusqu’à présent dans l’ombre des Autolib’, ils n’occupent toutefois que 226 places de stationnement sur les 3224 bornes d’Autolib’ [21]. Afin de combler ce vide, la mairie de Paris a récemment annoncé la création de 1 000 places de stationnement sur la voie publique. Le prochain conseil de Paris, en septembre, devrait débattre du nouveau parc et de la grille tarifaire. Les redevances devraient varier en fonction du type de motorisation des véhicules (électrique, hybride, essence). La mairie souhaite ainsi favoriser l’autopartage en boucle, les voitures étant empruntés et rendus à un même endroit [22].
Les acteurs traditionnels du secteur automobile se positionnent quant à eux sur le marché du free-floating. Renault s’est en effet associé à ADA et devrait lancer son offre d’autopartage de véhicules électriques Moov’in.Paris le 27 septembre, dans les XIème et XIIème arrondissements. Il s’agira d’un service d’autopartage sans stations de recharges ni places de stationnement dédiées [23].
De même, PSA lancera son service Free2move durant le dernier trimestre 2018. 500 véhicules électriques devraient être ainsi déployés en free-floating dans la capitale [24].La start-up Marseillaise, Totem Mobi, a également fait part de son intérêt pour le marché parisien, sans toutefois annoncer une date précise [25].
La fin d’Autolib laisse ainsi entrevoir de nouvelles possibilités pour l’autopartage et le développement de voitures électriques mises à disposition des citoyens. Ces dernières, respectueuses de l’environnement et du cadre de vie urbain avec l’autopartage, s’inscriront bel et bien dans une offre de mobilité renouvelée.
Le début de l’année 2018 a vu évoluer considérablement l’offre de transport dans Paris. Le développement des nouvelles offres de vélos et de de de trottinettes en free-floating est favorisé et le démantèlement d’Autolib fait entrevoir de nouvelles perspectives de déploiement de flottes de voitures électriques, respectueuses de l’environnement et du cadre de vie urbain.
Le pari de la mobilité douce, afin d’être relevé, nécessite néanmoins de repenser les règles de partage de l’espace public à l’ère du free-floating et de s’interroger sur la qualification des usagers et sur la pertinence de la seule existence d’une charte de bonne conduite. Les pratiques de mobilité douce se multipliant, elles requièrent ainsi de mener une réflexion plus large sur l’espace urbain et l’aménagement du territoire. La loi d’orientation des mobilités sera donc scrutée avec attention par tous les nouveaux acteurs de mobilité désireux de s’implanter durablement sur le marché parisien.
Enfin, les initiatives alliant transports en commun et offres de services de mobilité douce (vélos, trottinettes) sont vouées à se généraliser si la dynamique se maintient, les plateformes de mobilité multimodale deviennent une réalité de plus en plus tangible, comme le démontrent les récentes déclarations de Txfy et d’Uber. La mise à disposition de tous les modes de transport via un seul acteur moyennant un prix global, on parlera alors de Mobility as a Service, apparaît ainsi de plus en plus attrayante.