Le 6 février 2019, la Commission Européenne à la Concurrence a apposé son véto sur l’opération de rapprochement entre les deux leaders européens de la construction ferroviaire, Alstom et Siemens. Cette fusion était-elle nécessaire ? La Commission est-elle encore raccord avec le besoin de compétitivité mondiale des entreprises européennes ?
Une fusion importante pour être compétitif mondialement….
La demande, croissante, en matériel roulant (TAGV, trains régionaux, tramways, métro, etc.) est désormais mondiale. En réponse à cette demande, plusieurs compagnies se positionnent.
Voici un état des lieux comparatif entre les 5 principaux constructeurs :
La fusion Alstom-Siemens faisait donc sens à plusieurs niveaux : économique bien sûr, mais aussi technologique et politique.
Au niveau économique, la fusion aurait permis à l’entité Siemens Alstom de répondre à des appels d’offres plus importants qu’ils ne le pourront dans les années à venir en restant seuls.
Au niveau technologique, la fusion aurait favorisé les économies d’échelle et le leadership technologique. Le gain, lié aux complémentarités (fonction support, recherche, gammes similaires, etc.), était estimé à 470 millions d’euros par an après la finalisation du rapprochement.
Enfin, au niveau politique, cette fusion incarnait la capacité de l’Union Européenne à s’organiser pour constituer des champions mondiaux, comme en sont capables la Chine et les USA.
…mais qui entre en contradiction avec la notion de libre concurrence européenne
A première vue, cette fusion semblait idéale pour tous. Alors pourquoi la Commission Européenne à la concurrence l’a-t-elle rejetée ?
Premièrement, car la fusion Alstom Siemens aurait créé une situation de monopole sur le marché européen : fusionnés, Alstom et Siemens auraient, par exemple, détenu plus de 90% du marché de la signalétique ferroviaire en Grande-Bretagne, entraînant forcément une concurrence illégitime avec ses concurrents comme Bombardier.
Deuxièmement, car la Commission a jugé que la menace chinoise n’était pas si inquiétante à l’heure actuelle. Certes, CRRC réalise $28Mds de chiffre d’affaires mais 90% de ce montant provient du marché chinois. CRRC n’a fourni qu’une trentaine de wagons dans toute l’Europe. Il faudra encore une dizaine d’années avant que CRRC ne soit un concurrent légitime selon les experts.
Enfin, la Commission a pris une décision conforme à son rôle : défendre le pouvoir d’achat des consommateurs européens. La constitution de champions européens, nécessaire, ne peut se faire au détriment des principes et du rôle de l’Union Européenne. D’autant que fusionner n’est pas le seul moyen d’être compétitif mondialement. Avec leur 70 Mds€ de commandes cumulées, Alstom et Siemens ont au minimum 5 ans chacun pour élaborer d’autres stratégies.
La compétitivité mondiale des entreprises européennes, le nouvel enjeu décisif
Finalement, la décision de l’Union Européenne correspond à une application stricto sensu des règles européennes. On peut toutefois se demander si ces règles sont soutenables dans un contexte de compétition mondiale. A défaut d’avoir la réponse, voici deux initiatives que l’Union Européenne pourrait mettre en place pour améliorer la compétitivité mondiale de ses champions :
- L’Union Européenne pourrait se doter de législations davantage protectionnistes. Défendre un marché ouvert et libre est vertueux mais difficile face aux Etats-Unis de Trump et à la Chine de Xi, dont les réglementations empêchent régulièrement des entreprises étrangères de prendre des parts de leur marché.
- L’Union Européenne pourrait également s’engager dans une politique commerciale basée sur l’idée de réciprocité. Une entreprise étrangère peut répondre et gagner des appels d’offres européens à condition que les entreprises européennes puissent faire de même dans le pays étranger. Ce type de politique commerciale garantirait aux entreprises européennes une concurrence plus juste.
Les règles de la concurrence, qui datent de 1989, seront amenées à évoluer si l’Union Européenne souhaite continuer à fournir à ses entreprises les armes pour être compétitives mondialement. Bruno Le Maire et Peter Altmaier, respectivement ministres, français et allemand, de l’Economie et des Finances, virulents après le rejet de la fusion, ont déjà annoncé travailler sur une refonte de ces règles. Reste à savoir s’ils seront soutenus dans leurs propositions par les plus petits pays de l’Union…
Sources :
https://www.europe1.fr/economie/alstom-siemens-une-non-fusion-qui-va-laisser-des-traces-3852950
https://www.usinenouvelle.com/article/alstom-et-si-la-menace-venait-du-japon.N798995