En février 2021, la startup américaine Xwing organise le premier vol entièrement autonome d’un avion-cargo commercial : l’avion a décollé, volé et réatterri à son point de départ sans l’assistance du pilote à bord. Avant elle, Airbus avait déjà réussi l’expoit de faire décoller et atterrir un avion en 2020 avec deux pilotes dans le cockpit. On assiste de même à l’essor des drones pilotés à distance, que ce soit dans le domaine militaire ou commercial.
Face à ces avancées sur l’automatisation des vols, nous pouvons nous interroger sur l’avenir du transport aérien : sera-t-il aussi courant de grimper dans un avion sans pilote que de voyager dans un métro sans conducteur ?
Avion cargo Xwing
L’automatisation du transport aérien n’en est pas à ses premiers pas
L’automatisation des avions ne date pas d’hier : il n’aura fallu que neuf ans après le premier vol réussi pour qu’apparaisse la première technologie d’assistance au pilote en 1912. Cette dernière permettait de stabiliser l’appareil à l’aide de gyroscopes, rendant la tâche du pilote bien moins difficile, que ce soit pour repérer le sol en cas de mauvais temps ou simplement pour naviguer. En découlent plusieurs décennies d’améliorations durant lesquelles les compagnies aériennes passent de cinq membres d’équipage (deux pilotes, un mécanicien de bord, un opérateur, un navigateur) à deux pilotes seulement par vol.
La digitalisation du cockpit est la grande innovation suivante grâce au « fly-by-wire » d’Airbus : le pilote et l’autopilote transmettent des commandes au dispositif électronique et le système les traite avant de les envoyer aux actionneurs des commandes de vol. Ce dispositif électronique automatisé remplace les systèmes de commande de vol mécaniques et hydrauliques traditionnels (leviers, tiges, câbles et poulies) ce qui permet au pilote de commander à distance les surfaces de contrôle.
Un cockpit en 1974 vs 2014
Au-delà de cette digitalisation du cockpit, les améliorations de l’autopilote ont été nombreuses : de la simple stabilisation gyroscopique permise par Sperry, elle est passée à une assistance complète du pilote. Des aides à la navigation ajoutées durant les années 40 ont permis les vols de nuit ; les technologies de stabilisation se sont perfectionnées. A présent, les autopilotes les plus optimisés sur les avions commerciaux permettent d’automatiser la plupart des phases de vol grâce à des logiciels. Ces derniers réussissent à lire la position de l’avion puis grâce à cette donnée, contrôlent les commandes système pour guider l’appareil. L’efficacité de cet outil est tel qu’aujourd’hui, il est utilisé pour environ 90% du trajet sur un vol commercial sans perturbation.
La présence des pilotes est toujours cruciale, mais la technologie laisse entrevoir la possibilité de vol plus automatisés. Le développement des technologies d’IA et de capteurs — la plus avancée étant celle du Dragonfly d’Airbus – est rapide et permet déjà aux avions d’atterrir sans intervention des pilotes selon des tests récents.
Les essais menés par Airbus en janvier 2023 ont permis au public de se rendre compte de l’avancée des progrès en termes d’autonomisation des aéronefs. En effet, suite à une simulation d’accident aérien, l’algorithme a été capable de générer un nouvel itinéraire de route qu’il a lui-même communiqué aux contrôleurs aériens tout en prenant en compte des facteurs externes tels que les zones de vols ou la situation météorologique. Selon Airbus, le logiciel serait capable de prendre en main plusieurs opérations de manière totalement autonome comme les déroutements, les atterrissages et les procédures de roulage. Grâce à lui et ses capteurs, l’avion est même capable de déterminer le meilleur aéroport où atterrir.
Image que renvoient les caméras Dragonfly
Finalement, Dragonfly permettrait même à l’avion de rouler sans assistance du pilote jusqu’à sa porte : c’est l’une des manœuvres les plus sensibles car l’espace étant très limité au sol, il faut donc faire preuve de beaucoup de précision afin de ne pas couper la route d’un autre avion ou de risquer l’accident en se déplaçant trop près d’autres appareils. La sécurité est d’ailleurs le premier argument d’Airbus pour justifier les nombreux efforts du constructeur investis dans Dragonfly comme l’explique Isabelle Lacaze directrice du programme Dragonfly chez Airbus UpNext.
Dragonfly : la sécurité avant tout
Le 14 août 2005, le Boeing 737-300 d’Helios Airways s’écrase près d’Athènes, provoquant la mort de 121 personnes. En cause, une valve de pressurisation de l’appareil qui est restée ouverte. Le manque d’oxygène a entraîné la perte de connaissance de l’équipage qui n’a pu faire atterrir l’avion en sécurité. Ainsi, dans sa vidéo explicative de Dragonfly, Airbus débute sa présentation en mentionnant que sa technologie a pour but de prendre le relais en cas d’incapacité de l’équipage et met l’accent sur l’intérêt sécuritaire de son innovation car la majorité des défaillances sur les vols commerciaux sont dues à une erreur humaine.
Photo des recherches après le crash du vol Helios Airways
Airbus se défend néanmoins de vouloir supprimer les pilotes de ses avions, Dragonfly étant prévu pour des cockpits à deux pilotes.
La première raison de ce choix est l’opinion publique : selon une étude de l’Ansys menée auprès de 22 000 passagers, près de 7 interrogés sur 10 répondent qu’ils sont prêts à monter dans un avion autonome au cours de leur vie. Si c’était demain matin, ce chiffre tombe à 1 sur 10 seulement comme le précise Julien Joly, senior consultant transports chez Wavestone. Les passagers ne sont pas encore prêts à monter dans des avions sans pilote. Ajoutons à cela des préoccupations sociales : difficile d’annoncer que l’on va se séparer des pilotes !
D’autre part, les experts de l’aviation craignent une trop grande dépendance des pilotes à l’automatisation des vols. Le crash de l’AF 447 en est l’illustration parfaite : en 2009, les contrôleurs aériens perdent contact avec l’Airbus A330-200 qui finit par s’abîmer dans l’océan Atlantique, occasionnant 228 victimes. Les enquêteurs concluent à une incapacité des pilotes à manuellement reprendre les commandes de l’avion lorsqu’un dysfonctionnement de l’autopilote est apparu. Le journaliste et ancien pilote William Langewiesche écrit plus tard à propos de ce crash : « l’automatisation a rendu de plus en plus improbable que des pilotes de ligne aient à faire face à une crise d’une telle ampleur en vol – mais aussi rendu de plus en plus improbable qu’ils soient capables de gérer une telle crise si jamais elle se présentait ».
Ajoutons à cela que certains accidents ne peuvent être évités que grâce à l’intervention humaine : il est peu probable par exemple qu’un système d’autopilotage réussisse l’exploit du pilote Chesley Sullenberg en 2009 qui avait réussi à atterrir sur la rivière Hudson à la suite d’une collision aviaire ayant entrainée l’arrêt des deux moteurs.
Photo du débarquement des passagers de l’Airbus A320-214 piloté par C. Sullenberg
Les compagnies aériennes quant à elles voient plus que l’avantage sécuritaire dans ces améliorations de l’autopilote. On a vu notamment les transporteurs américains redoubler d’efforts pour pouvoir réduire le nombre de pilotes nécessaires et faire ainsi pression au Congrès pour amender la partie 121 des « Federal Aviation Regulations » qui requiert de toujours avoir deux pilotes dans le cockpit à tout moment du vol.
La panacée aux difficultés des compagnies aériennes ?
Un rapport de la banque UBS soutient que des avions sans pilote pourraient faire économiser 35 milliards de dollars aux compagnies aériennes et une étude du cabinet IAC Partners de 2019 annonce que le passage de deux pilotes à un pilote permettrait d’économiser jusqu’à 10 milliards d’euros par an en 2030. Néanmoins, plus que l’aspect économique attrayant, c’est la pénurie de pilotes annoncée qui inquiète les compagnies aériennes.
Avant la pandémie, l’aviation commerciale craignait déjà une pénurie de main d’œuvre. Les pilotes seniors se rapprochaient pour la plupart de l’âge de la retraite tandis que les coûts grandissants (en termes d’argent mais aussi de temps) d’une formation de pilote dissuadaient de potentiels candidats de poursuivre le métier.
Avec le Covid et une diminution de plus de 90% des vols en 2020 et en 2021, les compagnies aériennes ont participé à cette pénurie en favorisant des départs à la retraite et en arrêtant les embauches.
Aujourd’hui, si la reprise du trafic a repris au point de dépasser les niveaux pré-Covid selon les estimations, il pourrait manquer près de 80 000 pilotes à l’échelle mondiale à horizon 2032 (étude Oliver Wyman) et ce, malgré les efforts des compagnies aériennes pour former et attirer des talents.
Cependant, pour les raisons sécuritaires mentionnées ci-dessus, les avionneurs sont les premiers à se défendre de vouloir un avion sans pilote. Si des startups comme Xwing se targuent de n’avoir plus besoin de pilote, leurs négociations avec la FAA (Federal Aviation Administration) se concentrent sur le transport de marchandises avec un seul pilote de sécurité à bord au lieu des deux règlementaires. Dans la majorité des cas, les avionneurs traditionnels soulignent que l’amélioration de l’automatisation a pour but principal d’être un « assistant aux opérations de vols » comme l’annonce Airbus sur son site. Un pilote au sol qui gèrerait les opérations de l’avion à distance plutôt que dans le cockpit est aussi envisagé.
Prototype d’un avion sans pilote
L’industrie aéronautique est aussi confrontée à son lot de problématiques écologiques, l’aviation étant l’un des secteurs du transport les plus énergivores . Dès lors, un autre avantage de l’avion autonome serait les économies de carburant : telle la voiture autonome qui prévoit les meilleurs itinéraires et les changements de vitesse les plus appropriés, l’avion autonome brûlerait moins de combustible grâce à son efficacité. Si cette possibilité n’est pas démentie, on estime que les gains seraient faibles. Ainsi, la technologie Dragonfly ne sera pas le fer de lance des politiques RSE de l’avionneur même si elle pourra y participer.
Vers un monde sans pilote ?
En conclusion, verrons-nous des avions sans pilotes ? La réponse est simple : si cela arrive, ce ne sera pas avant bien longtemps. Nous semblons nous diriger plutôt vers un modèle d’aviation où les pilotes seraient de mieux en mieux soutenus par la technologie mais continueraient de superviser et d’encadrer les opérations de vol. Néanmoins, les exploits de Dragonfly laissent entrevoir un futur du transport aérien plein d’innovations : puisque les drones-livreurs existent déjà, peut-être ne tarderons-nous pas à voir des avions de marchandises dirigés depuis le sol, ou encore des taxis volants disposant des dernières technologies d’assistance au pilotage et à la navigation… Avec ces nouveaux moyens de se déplacer viendront aussi de nouvelles problématiques : il est à prévoir que la cybersécurité et la prévention du piratage des systèmes de vol seront au centre des prochaines règlementations sur ces innovations.
Pour plus d’informations sur Dragonfly, Julien Joly, senior consultant transports chez Wavestone discute de ce sujet avec Essia Lakhoua et Pauline Ducamp, journalistes BFM Business et Isabelle Lacaze, directrice du programme DragonFly chez Airbus UpNext sur le plateau de BFM TV.