Programmer à partir de son smartphone son trajet optimal, qui, en fonction de la météo, du trafic urbain, ou encore des horaires de passages des métros, trains ou tramways, permet d’éviter tout désagrément, c’est la promesse de la multimodalité, c’est-à-dire, un trajet empruntant différentes formes de transport, pour une mobilité efficace et sans surprises.
Mais pour créer les applications permettant de proposer de tels services, encore faut-il que les voyageurs urbains disposent des informations nécessaires, notamment en temps réel. C’est alors qu’apparait un concept clé, qui conditionnera l’essor de ces services : l’ouverture des données ou « open data ».
Ainsi, depuis le 6 août 2015, La loi Macron impose aux entreprises des transports publics et de mobilité, l’ouverture de leurs données. SNCF, RATP, Keolis, Stif… les transporteurs s’y mettent progressivement malgré leur réticence, craignant une remise en cause de leur position par les multinationales du net.
Comment les opérateurs de transport français se positionnent-ils aujourd’hui vis-à-vis de ce phénomène ?
Les premiers pas vers l’Open Data
La SNCF est l’un des groupes de transport les plus volontaristes lorsqu’il s’agit d’ouverture de données. En effet, le transporteur alimente depuis 2011 une plateforme de données ouvertes, qui contenait initialement le référentiel des gares. Cette plateforme a été ensuite enrichie fin 2012 par le tableau prévisionnel des horaires des lignes TER, des Intercités et des Transiliens. Depuis 2015, l’entreprise publique propose des APIs capables de diffuser des données en temps réel. Dernièrement, la société ferroviaire a intégré les données temps réel de l’Eurostar et du Thalys.
La RATP à son tour a fait figure de précurseur en ouvrant en juillet 2012 les données statiques (horaires, trajets ….) sur ses lignes de bus, métro, tramway, RER. Puis depuis mai 2013, le transporteur a ouvert de nombreuses informations de transports, permettant ainsi de réaliser une recherche d’itinéraire complète. Depuis janvier 2017, la RATP a également mis sur sa plate-forme les données en temps réel, mises à jour toutes les 5 minutes en fonction des incidents de parcours, ouvrant ainsi la possibilité aux voyageurs de prévoir leurs trajets futurs.
De son côté, le groupe Keolis s’est associé en 2010 à OpenDataSoft, start-up à l’origine de la première plateforme de valorisation des données, dans le but d’accélérer le développement de l’Open Data dans les transports publics. STAR, le réseau Keolis de Rennes, en a été le pilote. Ce réseau a été le premier réseau en France à avoir exploité le potentiel de l’Open Data en ouvrant, dès 2009, plusieurs données pertinentes pour les voyageurs rennais, notamment la localisation des vélos et des bus.
La peur d’une désintermédiation par les géants du Net
Mais cette ouverture des données n’est pas sans risques pour ces opérateurs de transport. En effet, une mise à disposition gratuite et non maîtrisée des données profiterait surtout aux GAFA. Déjà en position dominante, ces multinationales technologiques disposent des moyens financiers et techniques pour capter à leur profit les richesses représentées par les flux de données, et désintermédier ainsi à terme les opérateurs. Nombreux sont donc les transporteurs qui craignent un « effet Booking », où un opérateur de voyages et de réservations en ligne s’est interposé entre les hôtels et leurs clients.
En plus de proposer des solutions et services de qualité pour le calcul d’itinéraires multimodaux, ces géants du net seraient également capables de réorienter les usagers vers de nouvelles formes de transport (VTC ou covoiturage par exemple) plutôt que vers les transports publics. Pour illustrer ce concept, l’exemple du géant américain Google qui a lancé en 2016 le programme « Flow », développé par Sidewalks Labs, la division de Google consacrée à la smart city. Ce programme a pour but de transformer les déplacements urbains et est déjà testé aux États-Unis sur plusieurs territoires pilotes, sur lesquels il recueille des données de plusieurs sources : transports publics, capteurs bornes Wi-Fi, applications diverses (Waze, Google maps, etc.).
Ce positionnement pourrait, à termes, compromettre l’avenir des transports publics, entrainant leur affaiblissement progressif au profit d’offres de mobilité : peer to peer, ou offres privées.
Une démarche commune pour contrer cette menace…
Afin de contrer cette menace et préserver leurs intérêts face aux géants du numérique, plusieurs grands acteurs du transport français ont décidé de mettre de côté leurs rivalités pour travailler ensemble sur la mise en commun de leurs données. Ainsi, la SNCF, la RATP, Transdev et BlaBlacar ont signé un accord portant sur la création d’un « data warehouse », ou « entrepôt de données » qui centraliserait l’ensemble des informations sur leur activité.
Une fois créé, ce data warehouse constituerait la plus large base de données sur l’offre de transport terrestre en France, mêlant à la fois transport urbain et déplacements longue distance, en train, bus, métro ou covoiturage. Chacun des quatre acteurs serait libre d’exploiter les données à sa manière, proposant par exemple un comparateur ou une offre de trajet incluant différents modes de transport. L’objectif à termes serait de vendre, pour un trajet, un seul billet regroupant plusieurs modes de transport.
Cet accord permet de protéger les groupes membres de la création d’un agrégateur de services de transport par les GAFA. C’est pourquoi le modèle économique envisagé consiste en un accès gratuit pour les membres et payant pour les autres, GAFA en premier lieu. Ce projet a également vocation à être ouvert à d’autres acteurs du transport, publics ou privés.
…mais aussi des partenariats stratégiques pour développer de nouveaux services
Pour enrichir l’information voyageur, les grands opérateurs peuvent notamment s’appuyer sur l’émergence de startups et envisager des partenariats. Prenons l’exemple de l’application Tranquilien, service développé par la startup Snips, en partenariat avec la SNCF, et permettant aux utilisateurs de connaître le taux de remplissage des trains du réseau Transilien.
Autre exemple : Keolis a mis en place un partenariat avec la start-up Moovit, pour échanger les données. Fondée en 2012 en Israël, Moovit fournit des informations sur les horaires des transports, les trajets les plus rapides et des alertes en temps réel, dans une optique multimodale. Les utilisateurs de Moovit peuvent aussi mettre à jour des informations en temps réel, renseignant la communauté des retards ou des changements d’horaires. L’appli communautaire et gratuite et revendique des dizaines de millions d’utilisateurs dans le monde, dans plus de 800 villes. Pour l’opérateur de transport, ce partenariat lui permet, entre autres, de proposer un service innovant sur son réseau, de récupérer de nombreuses statistiques sur les déplacements, mais aussi de contrôler une certaine partie des fonctionnalités de l’application. Keolis a notamment demandé à Moovit de retirer des services tels que le signal des contrôles en cours ou la notation des chauffeurs de bus.
Ainsi, l’ouverture des données du transport entre progressivement dans les mœurs des différents acteurs du secteur. Conscient de l’importance de ces données, ils ont compris qu’il était aujourd’hui nécessaire et urgent de s’engager dans une politique offensive d’innovation et d’expérimentation pour résister au danger d’intermédiation des grandes plateformes.
Cette démarche doit être abordée dans un esprit d’écosystème ouvert aux startups, PME et autres partenaires car une chose est sûre, l’émergence des services de transport multimodal dépendra de la capacité des acteurs privés et publics à collaborer.
Cet article est un véritable coup de projecteur sur la mutation du secteur du transport dans l’univers du numérique et de la mutualisation des données. Merci pour tous ces éclaircissements.