Le 22ème congrès mondial sur les systèmes de transport intelligents (ITS) s’est tenu du 5 au 9 octobre dernier à Bordeaux et a permis de mettre en avant les dernières technologies du secteur. Parmi celles-ci, la véritable star de ces dernières semaines, qui promet de transformer notre façon de nous déplacer : la voiture autonome. Mais est-ce réellement pour demain ?
Malgré les limitations techniques, les constructeurs multiplient les annonces et occupent le terrain
Les constructeurs automobiles ont tout d’abord profité de la couverture médiatique du congrès ITS pour multiplier les annonces concernant la voiture sans chauffeur. Google avait déjà pris quelques longueurs d’avance dès juin dernier en annonçant avoir parcouru un million de miles avec ses Google Cars. Mais depuis, Peugeot a fait tester son prototype par le ministre de l’économie, Emmanuel Macron, et a réalisé un Paris-Bordeaux en toute autonomie. Une voiture de l’université du Nevada a également parcouru 1500 miles sur des routes mexicaines, sans que personne ne touche le volant. Une surenchère en termes d’annonces, qui peut rappeler la conquête de l’air au cours du XXème siècle.
La démocratisation de la voiture sans chauffeur sur nos routes serait-elle alors pour demain ? Il reste toutefois des obstacles techniques majeurs à surmonter pour que les constructeurs puissent se lancer sur ce marché. D’abord, le mode autonome ne semble pas sûr à 100%, comme l’a montré un test du dernier modèle de Tesla. Lors de ce test, le pilote automatique se déconnecte et le véhicule manque de percuter celui arrivant en face. Si cet incident est bien entendu isolé, il montre bien que la technologie présente encore des failles. Plus généralement se pose la question de la reprise en main de la voiture par le conducteur, qui doit pouvoir se faire sans aucun laps de temps.
Les équipements embarqués sont aussi un frein à la généralisation de ces véhicules auprès du grand public. S’il y a eu des avancées considérables en ce qui concerne les prix de ces technologies, le fonctionnement des capteurs, radars et autres lasers reste limité dans de mauvaises conditions météorologiques. L’enjeu pour les équipementiers est donc à présent de les faire fonctionner sous la neige, le brouillard ou par forte pluie.
Enfin, le comportement de conduite des véhicules autonomes pose problème. La Google Car respecterait ainsi trop le code de la route, ce qui peut la mettre dans des situations délicates. Par exemple, aux intersections, la voiture autonome s’arrête net, au lieu de chercher à se lancer comme le ferait un chauffeur en chair et en os. L’enjeu pour les constructeurs est donc de rendre les logiciels de conduite « plus humain » afin de faciliter l’insertion des voitures autonomes, ainsi que leur cohabitation avec les véhicules traditionnels. Google s’attache à humaniser son algorithme de conduite, en lui permettant de couper les lignes blanches pour doubler un cycliste par exemple. Dans le but de résoudre ces problématiques, la question de faire passer un permis de conduire aux voitures autonomes a aussi été posée, ce qui souligne la nécessité d’adapter la réglementation.
La voiture autonome, est-ce vraiment pour bientôt ?
Si les entreprises se livrent une bataille sur le plan médiatique, le volant ne devrait pas disparaitre de l’habitacle avant longtemps. En effet, les principales études s’accordent à dire que la voiture autonome n’arrivera que progressivement sur le marché, chaque génération de véhicules devenant un peu plus autonome que la précédente. Par exemple, d’après une étude PwC, les véhicules actuels disposent déjà de fonctions d’autonomie passives et devraient être entièrement autonomes d’ici 2030. Une autonomisation progressive des automobiles fait d’ailleurs consensus au sein du secteur. Cela devrait permettre de favoriser l’adoption et de laisser le temps nécessaire aux entreprises pour apporter des réponses aux problématiques évoquées plus haut.
Toutefois, des politiques volontaristes pourraient aussi permettre d’accélérer ce processus. Le gouvernement japonais et des constructeurs comme Nissan ou Toyota ont d’ores et déjà annoncé la sortie de voitures semi-autonomes en vue des Jeux Olympiques de Tokyo en 2020. Des taxis sans chauffeur vont par ailleurs être testés dès l’an prochain et pourraient donc être mis à contribution lors de cet événement. De quoi assurer une belle couverture médiatique aux constructeurs ! Si l’on peut constater l’implication des pouvoirs publics, qui cherchent à attirer les constructeurs innovants, la voiture autonome ne devrait toutefois pas se démocratiser avant 2040, selon une étude McKinsey, ces estimations se basant sur les taux de renouvellement actuels du parc automobile. Pourtant, certaines entreprises, comme Nauto, proposent déjà des kits qui permettent de rendre autonome un véhicule traditionnel, pour moins de 500 dollars.
Dans l’immédiat, il faut s’attendre à une retombée de l’intérêt médiatique dans les prochaines semaines. Le cabinet Gartner a placé la voiture autonome au sommet de sa courbe de tendance des technologies émergentes, ce qui signifie qu’après la surenchère des dernières semaines, celles à venir devraient être plus calmes en termes d’annonces. Les différents acteurs pourraient notamment s’attacher à résoudre les problématiques techniques, légales ou encore d’assurance… à moins qu’Apple ne se décide à lancer lui aussi des tests sur route.
À terme, la mobilité réinventée
Selon une étude de l’université Stanford, qui compte d’ailleurs parmi ses professeurs Sebastian Thrun, le père de la Google Car et Chris Gerdes, un des plus éminents spécialistes du sujet, entre 70 et 90% des taxis pourraient être autonomes d’ici 2060. Une telle transformation bouleversera radicalement notre manière de nous déplacer. D’après Emilio Frazzoli, directeur du groupe de réflexion Transportation@MIT, Uber est un exemple caractéristique de cette transformation. Alors que le succès de la start-up californienne repose en partie sur l’effet de réseau, l’autonomisation des véhicules permettrait à l’entreprise de réduire cette dépendance tout en abaissant ses coûts. Celle-ci teste d’ailleurs des véhicules autonomes en partenariat avec l’université de Carnegie Mellon.
La baisse des coûts liée à l’adoption de la voiture autonome permettrait la démocratisation de l’autopartage. Le passage d’un modèle où les conducteurs sont propriétaires de leurs véhicules à un modèle où ils utilisent des flottes de véhicules autonomes, dont l’habitacle est partagé et les trajets optimisés entrainerait, selon une étude Deloitte, une baisse des coûts de déplacement de près de 70%. Il est donc probable que, de plus en plus, les conducteurs songeront à abandonner leur véhicule pour adopter un modèle de « car as a service » (CaaS) et partageront leurs trajets. Le covoiturage de demain en quelque sorte !
Pour le cabinet de conseil Roland Berger, cette transformation des modes de mobilité impactera directement le design des voitures, la disposition de l’habitacle et la taille du véhicule variant en fonction du trajet à effectuer. IDEO propose également différents concepts d’automobiles selon les usages et les types de mobilité qui pourraient émerger dans le futur du fait de la démocratisation des véhicules autonomes.
Cette réinvention des modes de déplacement transformera les transports en commun tels que nous les connaissons actuellement. En effet, si le coût moyen par kilomètre pour l’utilisation d’une voiture autonome rattrape celui des transports en commun traditionnels, il faudra alors s’attendre à ce que les usagers fassent un arbitrage entre les deux modes de transport. Ainsi, on peut imaginer l’émergence dans les prochaines années de sociétés privées qui seront capables de transporter des passagers de leur domicile à leur lieu de travail pour un coût équivalent à celui des transports publics.
La disparition du chauffeur ?
Malgré les obstacles actuels, notamment technologiques mais aussi légaux, une généralisation des véhicules autonomes d’ici les vingt prochaines années est probable. De même que la disparition progressive du chauffeur humain à bord des véhicules. À condition toutefois que les différents acteurs de cet écosystème prouvent dès à présent au grand public que la technologie est sûre et qu’ils puissent nous convaincre de lâcher progressivement le volant. Cela revient, ni plus ni moins, à confier sa vie à un robot. Pas sûr que les conducteurs soient prêts.
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