Après l’électrification du réseau, l’arrivée du TGV et l’automatisation des trains, place aujourd’hui au train autonome, la nouvelle révolution du transport ferroviaire.
En septembre dernier, la SNCF présentait son plan d’action pour la mise en place de trains autonomes pour le fret et le transport de passagers. Les premières expérimentations auront lieu dès 2019, suivies d’un déploiement progressif entre 2021 et 2025.
Quels sont les enjeux du projet ? Quelle est la stratégie de la SNCF pour le déployer ? Quels défis devra-t-elle relever ?
Réponses dans la suite de l’article …
Autonomes vs Automatiques ? Quelles différences ?
On entend souvent les mots « automatiques » ou « autonomes » pour désigner cette nouvelle génération de trains sans conducteurs.
Petit rappel avant de se lancer dans le vif du sujet …
En réalité, un train automatique est un train qui possède un certain niveau d’autonomie. Il existe ainsi 4 GoA (Grades Of Autonomy) ayant des caractéristiques spécifiques comme illustré ci-dessous.
Pour mieux comprendre, faisons le parallèle avec un moyen de transport que nous connaissons bien, les voitures, où les mécanismes d’autonomies ont déjà quelques années d’avance.
A noter qu’il s’agit uniquement d’une analogie et que trains et véhicules autonomes possèdent chacun leurs spécificités propres.
Qu’en est-il alors du niveau d’autonomie des trains aujourd’hui ?
En partant de ces définitions, 99% des trains (TGV, TER, …) pourraient s’apparenter au niveau GoA 1.
Dans le transport urbain
Le niveau d’autonomie des lignes de métro actuelles peut s’apparenter au niveau d’autonomie GoA 2. Grâce au projet NExTE0 qui vise l’automatisation du RER E, ce dernier atteindra également ce niveau d’autonomie.
Quant aux lignes 1 et 14, nous pouvons les assimiler au niveau GoA 4.
Et ailleurs qu’en France ?
En Angleterre, Londres se lance également dans le train autonome en construisant le Crossrail. Ce train reliera l’est à l’ouest londonien et atteindra un niveau d’autonomie GoA 3.
En Australie, des expérimentations ont déjà commencé. En effet, le groupe minier RioTinto a réalisé le 1er train de minerai autonome. Transportant 28000 tonnes de minerai de fer, il parcourt 280 kilomètres de distance entre une mine australienne et un port sans conducteur à bord.
En partant de cet existant, il est tout à fait légitime de se demander « En quoi est-ce une révolution pour la SNCF de réaliser des trains autonomes ? Il n’y aurait qu’à transposer le modèle des métros automatiques urbains aux trains TER, TGV … »
Cela est plus compliqué qu’il n’y paraît. En effet, jusqu’ici, l’automatisation s’est faite en circuit fermé (les trains démarrent au point A et terminent au point B), relativement court, et globalement sur des rames de même type qui effectuent le même trajet. Le défi avec le transport ferroviaire est qu’il s’agira de faire cohabiter différents types de trains (TER, TGV, Intercités, Fret) sur les mêmes voies et dans un environnement ouvert soumis à des aléas divers et variés (nouveaux types d’obstacles, aléas météorologiques, …)
Pour répondre à ce défi, la SNCF a décidé de lancer un vaste projet avec l’Institut de Recherche Technologique Railenium (IRT) : le train autonome.
Principes et enjeux du projet du train autonome
Les acteurs impliqués dans le projet
Paris, le 12 Septembre 2018
La SNCF annonce avoir noué des partenariats avec de grands industriels pour réaliser le train autonome. Ils sont issus de divers secteurs : le ferroviaire, l’automobile, l’aérien, l’intelligence système et artificielle. Elle s’est ainsi entourée de 2 consortiums pour la réalisation de deux prototypes de trains à horizon 2023.
Le choix de ces différents partenaires ne s’est pas fait aléatoirement. En effet, la SNCF s’est entourée d’entreprises expertes dans des sujets spécifiques qui correspondent aux différents chantiers du train autonome. A noter que ces acteurs peuvent intervenir sur différentes thématiques. Ainsi, en plus de ses expertises sur la cybersécurité, l’IA et le Big Data, Thales intervient également dans l’intégration des différentes briques technologiques ainsi que dans l’automatisme. Il en est de même pour Bombardier.
Tous contribuent financièrement au projet dont le montant total s’élève à 57 millions d’euros (dont 30% financés par la SNCF, 30% par l’Etat et 40% par les partenaires)
Les enjeux du projet
Pour le transport de passagers et le fret
Avec le train autonome, la SNCF garantit divers bénéfices, que ce soit pour les passagers ou pour le fret, à savoir :
- Augmenter la capacité des trains
Aujourd’hui, sur un même tronçon de voie, les trains circulent globalement à des vitesses différentes. Demain, grâce à une communication en temps réel, la vitesse entre les trains pourra être optimisée et l’intervalle de distance sera ainsi plus régulier. Il sera alors possible de faire circuler plus de trains sur un même tronçon et donc transporter plus de passagers ou de marchandises
- Améliorer la régularité des trains
Lorsqu’un train ralentit pour une raison quelconque, les trains suivants ne sont pas alertés rapidement. En conséquence, lorsque le 1er train reprend sa course, les suivants doivent attendre un délai minimum avant de redémarrer à leur tour pour respecter la distance de sécurité. Ce qui crée des ralentissements au niveau de la ligne et donc du retard.
Demain, les trains suivants seront alertés en temps réel. Ainsi, le temps de reprise de la circulation sera réduit et le retard minimisé pour les usagers.
- Diminuer la consommation d’énergie
Du fait du manque de communication en temps réel, les trains sont parfois contraints de ralentir ou d’accélérer. Ces freinages ou décélérations brutales consomment beaucoup d’énergie. Grâce à l’amélioration de la capacité et de la régularité des trains, la conduite sera optimisée et donc plus économe en énergie.
Pour la SNCF
Tous ces bénéfices profitent certes directement aux passagers et au fret mais pas seulement. Grâce à ces améliorations, la SNCF pourra :
- Augmenter son chiffre d’affaires
En améliorant la capacité de ses trains (30% de capacités supplémentaires sur un même réseau), la SNCF compte attirer plus de passagers.
- Baisser ses coûts
Les factures énergétiques de la SNCF seront réduites avec entre – 15 et – 20% d’énergie consommée.
De plus, en faisant circuler plus de trains sur la même voie, la SNCF limite ses investissements dans de nouvelles lignes et donc dans l’exploitation et la maintenance.
- Augmenter sa compétitivité
Tout cela contribuera à rendre la SNCF plus compétitive face aux nouveaux venus sur le marché des transports de passagers (Ex : covoiturage, Flixbus, aérien low cost, …) en proposant des prix attractifs.
Plan de déploiement du projet Train autonome
L’entreprise publique s’est fixée un délai de 4 ans (de 2019 à 2023) pour réaliser des prototypes de trains à des niveaux d’autonomie différents.
Le fret en premier …
La SNCF prévoit de réaliser un train autonome de fret GoA 4 pour 2021. Mais l’automatisation concernera seulement certains tronçons de voies. Ainsi, les trains pourront rouler de manière autonome sur les voies « secondaires » qui conduisent à l’entrepôt d’un client ou sur les voies qui séparent une gare du local de dépôt.
… le transport de passagers ensuite
La région parisienne sera la première concernée avec le RER E (Projet NExTEO), prévu pour 2023 et qui permettra de faire circuler un train toutes les 20 secondes. Les TER suivront à partir de 2025 ainsi que les TGV. Et c’est la ligne la plus empruntée aujourd’hui qui sera précurseur : la ligne TGV Paris-Lyon. Le train circulera avec un niveau d’autonomie GoA 2 en 2025. Ainsi, 16 TGV circuleront par heure au lieu de 13 aujourd’hui selon la SNCF.
Les défis à relever par la SNCF
Défi technologique
Aujourd’hui, la SNCF a décidé de s’appuyer sur ses trains existants pour les rendre autonomes. Il ne s’agira donc pas de créer de nouveaux trains mais d’adapter l’existant au niveau d’autonomie souhaité.
Ainsi, pour permettre au train autonome de détecter les éléments de signalisation et les obstacles sur la voie, Bombardier équipera les trains existants de capteurs et de caméras.
Pour que le train puisse réagir aux aléas rencontrés sur le trajet et autoriser la fermeture des portes sans dangers, Spirops devra intégrer l’intelligence artificielle dans le module de conduite pour transférer les capacités intellectuelles et sensorielles des conducteurs.
Enfin, un train autonome étant plus connecté, la SNCF devra faire face aux enjeux de cybersécurité.
Défi social
Rendre les trains autonomes soulève des questions d’ordre social. On peut se poser la question du devenir des conducteurs si leur présence dans le train n’est plus nécessaire. La SNCF a assuré que la mise en place du train autonome générera de nouveaux postes notamment dans la supervision des trains à distance, la maintenance ou encore le télédépannage, ou la gestion des données.
Acceptabilité par les passagers
La question se pose de savoir si psychologiquement les passagers sont prêts à monter à bord d’un train sans conducteur qui roulerait à 300km/h. Pour le moment, cette problématique peut être reportée. En effet, à moyen terme, les TGV rouleront à un niveau d’autonomie 2 pour 2025 et donc avec un conducteur à bord.
En résumé, le train autonome est un vaste projet de transformation pour la SNCF. Il est transverse à l’entreprise et touche différentes fonctions :
- Système d’information avec l’utilisation des nouvelles technologies pour l’autonomie des trains
- Finance avec la réalisation de marges plus importantes
- Marketing en proposant un service de transport plus régulier et donc plus compétitif et attractif pour les clients
- Ressources humaines avec une transformation du métier de conducteur et plus largement de l’ensemble du personnel travaillant sur les réseaux de transport (Ex : cheminots)
Bravo. Le meilleur article du Net sur les trains autonomes : synthétique et complet avec une bonne présentation des enjeux et perspectives !